ÉTATS GÉNÉRAUX DU FRANÇAIS LANGUE ÉTRANGÈRE- FRANÇAIS LANGUE SECONDE
16-17 JANVIER 2006 A PARIS

Compte-rendu deS TRAVAUX

Allocution d’ouverture

par Chantal Forestal,
Présidente du Comité d’Organisation

Introduction

Des « États généraux », tout le monde sait ce que c'est. Mais le « français langue étrangère − français langue seconde, siglé « FLE-FLS » ? Il s'agit tout simplement du français langue et culture, c'est-à-dire de francophonie, puisque si − je cite − « la langue de la république est le français » (Article 2 de la Constitution), le français est aussi et surtout la langue de tous ceux qui la parlent dans le monde et portent haut ses valeurs de liberté. Or cette langue et cette culture, il faut bien les enseigner, les transmettre, en France et à l’étranger. Là est le problème. D'où ces États généraux du FLE-FLS.

Ces États généraux font suite aux Assises professionnelles du FLE-FLS qui se sont tenues le 26 janvier 2005, à l’École Normale Supérieure, rue d’Ulm à Paris. Plus de 300 personnes y avaient participé, représentatives tant du secteur public que du secteur privé. Au cours de ces Assises ont été apportés de nombreux témoignages qui ont confirmé, si besoin était, la gravité des problèmes qui se posent à tous les niveaux du secteur FLE-FLS, Cette impulsion initiale a permis − tout particulièrement grâce à des mois de travail d’un « Comité d’Organisation » dont je remercie ici très chaleureusement tous les membres qui se sont spontanément proposés à cette occasion, de mettre en place et de préparer les présents États Généraux, qui doivent quant à eux aller plus loin dans l'analyse des problèmes et la recherche de solutions, et créer une dynamique durable de rassemblement entre des acteurs trop souvent isolés et mal informés.

Pour ne pas avancer sur les travaux de ces États Généraux ni préjuger en rien des conclusions auxquels ils parviendront, je voudrais ici brosser le cadre général, baliser le territoire dans lequel ils se situeront, celui que l’on désigne généralement, actuellement, par l’appellation « secteur français langue étrangère − français langue seconde », ou par ses sigles, « FLE-FLS ». Après avoir évoqué la très grande diversité des publics relevant de ce secteur, j’aborderai successivement la question des publics, celle des institutions, et enfin celle des formateurs.

1. Publics concernés

L’apprentissage du français langue étrangère en France concerne des publics très diversifiés relevant de structures d’accueil très différentes : enfants de migrants accueillis dans le système scolaire, primo-arrivants, adultes en formation continue, étudiants des Centres de langue universitaires, demandeurs d’asile. À l’étranger, l’apprentissage du français est de même placé sous le signe d’une très grande diversité, qu’elle soit linguistique, culturelle, sociologique, économique ou institutionnelle.

1.1 Publics concernés par le FLE-FLS en France

Nous évoquerons successivement les cinq types de public suivants :
1) celui de l'intégration scolaire en France,
2) celui de l'intégration sociale et insertion professionnelle,
3) celui des centres pénitentiaires,
4) celui des centres universitaires et enfin
5) celui relevant du « français sur objectifs spécifiques » (FOS).

a. Le public de l’intégration scolaire en France

On peut distinguer parmi ce public deux catégories différentes : d’une part les enfants français de parents migrants, qui représente 8% des effectifs scolaires, d’autre part les primo-arrivants, au nombre de 30 000 par an en moyenne.

Les profils de ces derniers, les primo-arrivants, sont en mutation constante. Jusqu’à ces dernières décennies, les migrants étaient majoritairement originaires d’Algérie, du Maroc et de la Turquie, mais ils arrivent maintenant de Chine, d’Afrique subsaharienne, de Mayotte ou encore de Tchétchénie. De sorte qu’aujourd’hui, l’enseignement du français en France s’adresse à un public de plus en plus différent à différents points de vue : ethnique, culturel, linguistique, socio-économique.

Entre autres parce qu’elle a hérité d’une culture d’égalitarisme abstrait et qu’elle est affaiblie par les restrictions budgétaires, l’école n’est pas en mesure de gérer la diversité actuelle de son public, et moins encore d’en faire une richesse commune.

Scolariser dans une perspective d’insertion dans le système éducatif français implique un réel effort d’adaptation dans trois directions :
1) le soutien aux bilinguismes dès l’école maternelle,
2) la modification des conceptions et pratiques pédagogiques, enfin
3) l’évolution de l’institution scolaire.

Je me contenterai ici de très courtes remarques sur chacun de ces points.

1) Le bilinguisme

On peut se féliciter d’une évolution récente du rapport Bénisti qui dans le cadre d’une loi sur la prévention de la délinquance, demandée par le Ministère de l’Intérieur, avait proposé d’éradiquer dès la petite enfance de l’enfant étranger, la langue maternelle « le parler patois ». Suite à la réaction immédiate des professionnels didacticiens et linguistes le rapport reconnaît désormais le fait migratoire comme un enrichissement culturel, et − je cite − « le bilinguisme comme facteur d’intégration ». Reste à faire passer ce projet dans la réalité, ce qui exige en particulier un changement des conceptions et pratiques pédagogiques de l’enseignement scolaire français.

2) Les conceptions et pratiques pédagogiques

Essentiellement fondé sur des programmes normalisés qui visent tous les publics de façon indifférenciée, notre système éducatif se fonde plus sur des programmes d’enseignement que sur des programmes d’apprentissage, lesquels par définition doivent s’adapter aux apprenants réels. On peut affirmer, sans aucune intention de polémiquer en forçant le trait, que l'enseignement actuel du dit « français langue maternelle » reste principalement conçu pour des élèves monolingues français, et − si l’on me permet l’expression − « mono-culturels » dans la mesure où cet enseignement est « sous influence », l’influence du modèle de la littérature française à la fois comme objectif et comme moyen. Un tel enseignement n'est absolument pas adapté aux besoins diversifiés des publics scolaires actuels dans notre pays (si tant est qu’il l’ait jamais été dans le passé) pas plus qu’il n’est adapté au projet européen de développement du plurilinguisme et du pluriculturalisme. C’est ce qui me semble justifier deux idées fondamentales qui seront dans doute reprises au cours de ces États Généraux :

− Au concept de « français langue maternelle » doit succéder celui de « langue française », dont l’objectif de maîtrise relève, suivant les élèves, de problématiques diverses se situant sur l’axe langue maternelle − langue seconde − langue étrangère.

− Il faut une discipline commune de référence, et c’est la discipline Didactique des langues et des cultures qui apparaît la plus à même d’assumer cette fonction. Il faut donc la faire évoluer en ce sens et la faire reconnaître en tant que telle.

3) L’évolution de l’institution scolaire

Les structures d’accueil actuelles et leur fonctionnement appellent une réflexion approfondie de la part des responsables, des associations professionnelles et des syndicats,. Il suffit de constater les très grandes difficultés auxquelles se trouvent confrontés les enseignants de CLIN (classe d’initiation dans le primaire), de dispositifs d’Accueil de Collèges et de Lycées, de CRI (cours de rattrapage intégré) ou encore de CLA-ENSA (cours de rattrapage intégré pour accueillir des jeunes de 12 à 17 ans non scolarisés antérieurement). Il est urgent de concevoir et mettre en œuvre une politique globale d’intégration des enfants de migrants.

b. Le public de l’intégration sociale et insertion professionnelle.

Ce public de migrants adultes est comme le précédent d’une grande diversité linguistique, culturelle, ethnique, économique et sociale, et il évolue constamment en fonction des événements internationaux bien sûr, mais aussi de la politique migratoire française. On sait que les toutes dernières orientations officielles se sont concrétisées dans le « Contrat d’Accueil et d’Intégration » : il s’agit − je cite − d’ « accueillir dignement les étrangers et de les sensibiliser aux modes de vie et aux valeurs de la société française ». Sans parler des réserves et inquiétudes concernant la mise en œuvre de ce contrat (diminution du nombre d’heures d’apprentissage, rythme unique imposé, apprentissage de la langue isolé de la découverte de la culture), il s’accompagne d’un véritable bouleversement du fonctionnement de ce secteur de la formation et de ses missions, qui appellent à la plus grand vigilance.

c. Les publics relevant de la lutte contre l’illettrisme

La question de l’illettrisme est relativement bien connue du grand public, parce qu’elle attire l’attention des médias. Moins connu sans doute est une partie certes marginale mais tout aussi respectable de ce public, qui est celui des centres pénitentiaires. Les estimations actuelles font état de 10 % des détenus qui auraient besoin de suivre un enseignement de français. Le développement des tests sur l’illettrisme à l’entrée de ces établissements permettra de disposer de chiffres précis.

La convention passée en 1995 entre l’Administration Pénitentiaire, le Ministère de la Justice et l’Éducation nationale a permis la création de véritables structures d’enseignement regroupées en Unités Pédagogiques Régionales, et l’entrée officielle d’un enseignant de l’Éducation nationale a symboliquement renforcé le détenu comme un sujet de droit.

Mais pour l’instant l’apprentissage se fait sur la base du volontariat avec des horaires insuffisants (8h30 par semaine), et les créations de postes (39 depuis 3 ans) ne sont pas du tout à la mesure du très fort accroissement actuel des effectifs pénitentiaires. Tout un chantier reste à ouvrir, enfin, dans la perspective de la mise en place en 2007 des Établissements pour mineurs.

d. Le public des universités et centres universitaires

Les centres de langue universitaires ou privés en France accueillent un type de public lui aussi très diversifié, à savoir des étudiants étrangers qui veulent acquérir une maîtrise suffisante du français pour suivre une formation universitaire dans notre pays. Ils sont de toutes nationalités, sont venus à des titres différents (étudiants individuels, programmes européens, échanges interuniversitaires,…), mais tous ne sont en France, en principe, que pour et pour le temps de leurs études.

Un premier bilan de la prise en compte de ce public fait d’ores et déjà apparaître un nombre important de graves problèmes :

a) Selon le rapport du Comité National pour le Développement de la Mobilité Internationale, 80 % des étudiants étrangers venus à titre individuel en France ne bénéficie d’aucun suivi institutionnel de type Erasmus, et ils ne disposent que rarement de l’accompagnement et du suivi nécessaires. Dans la plupart des cas il y a méconnaissance de leurs parcours antérieurs, de leurs besoins et de leurs perspectives d’avenir dans leur pays. Il est en particulier indispensable de développer plus systématiquement la formation aux études universitaires : qu’ils soient américains ou syriens, chinois ou allemands, les étudiants étrangers ont besoin de se familiariser avec nos manières d’enseigner et d’apprendre, en particulier notre manière de rédiger « à la française ».

b) Les étudiants des programmes Erasmus n’ont pas toujours la possibilité d’étudier sérieusement la langue du pays cible avant de venir en France, et cet apprentissage se fait alors sur place, souvent au rythme de 3 heures par semaines pendant 3 mois, en même temps que l’acquisition des crédits ECTS, C’est une aimable plaisanterie !

c) La priorité donnée à l’excellence et à l’innovation dans le cadre de la compétition internationale conduit à privilégier la coopération avec les pays du Nord et avec les pays émergents (tels que la Chine, l’Inde ou le Brésil) avec pour objectif la formation d’une élite francophone. L’ouverture de la Chine à l’Occident s’est ainsi traduite par une arrivée croissante et massive d’étudiants chinois en France: en cinq ans leur nombre a été multiplié par cinq. Pour des raisons de coût, la Chine en vient même à délocaliser les enseignants de FLE. On ferme des sections en France pour en ouvrir là-bas : il y a des postes à prendre à Nankin ou ailleurs pour celui qui veut y travailler pour le montant d'un salaire local…

d) Une nouvelle politique officielle d’accueil des étudiants étrangers a été engagée depuis 1998 avec une précaution inquiétante sur le nécessaire − je cite − « réexamen du devoir de solidarité envers les pays du Sud ». Nombre d’acteurs de la société civile ont condamné ce nouveau projet, qui introduit un dispositif inacceptable de ségrégation par une sélection dès le pays d’origine opéré par des agences privées, et qui dessaisit les universités de l’accueil de leurs étudiants.

e) Un dernier problème tout aussi grave sera certainement abordé au cours de nos États Généraux, celui du statut des enseignants de FLE qui accueillent ces étudiants dans les Centres Universitaires.

e. Le public du français sur objectifs spécifiques (FOS)

Le domaine est relativement vaste, puisqu’il couvre l’ensemble des domaines professionnels, aussi bien en France qu’à l’étranger, dans lesquels la didactique du FLE travaille, pourrait-on dire « à la carte ». La demande peut provenir d’institutions de l’enseignement supérieur, de centres de recherches, de structures parapubliques ou privées (écoles de commerce multinationales entreprises locales... L’apprentissage se fait soit dans des institutions éducatives classiques, soit dans des structures de formation extra-scolaires (parapubliques ou privées : Alliances françaises, Instituts français à l’étranger, Écoles de langues,...) soit hors espace institutionnel, en auto-apprentissage, à distance ou dans un centre de ressources.

Si les instances éducatives ne se mettent pas en mesure de répondre à la diversité de ces demandes professionnellement ciblées, il est à prévoir qu’elles seront prises en compte par des organismes privés enseignant les langues étrangères à des fins strictement utilitaires et dans une logique purement commerciale. C’est par exemple déjà le cas au Brésil pour la langue anglaise.

On sait qu’en tant que langue de communication internationale en milieu professionnel, le français se trouve particulière menacé. Les États Généraux devront sans doute sur ce point affirmer avec force leur foi en l’avenir du français langue internationale y compris dans la vie économique et le monde de l’entreprise, comme le fait par exemple le GERFLINT et son Président, Jacques Cortès, ou encore le Forum Francophone des Affaires, qui s’appuie entre autres sur la fédération francophone des Chambres de commerce et d’Industrie. Ce forum, qui associe à sa démarche les organisations professionnelles par secteur d’activité et par métiers, souhaite nouer des liens avec les universités pour encourager le développement des formations en français. De retour dans leur pays d’origine, les jeunes diplômés venus étudier le français en France devraient être capables de collaborer en français avec des entreprises françaises et internationales. Cette politique volontariste de défense du français langue internationale passe aussi par un partenariat avec les entreprises françaises implantées à l’étranger.

1.2 Publics concernés par le FLE-FLS à l’étranger

Comme le souligne un rapport de décembre 2004 d’une commission sénatoriale dirigée par Louis Duvernois, le statut et la pratique du français sont des éléments centraux en perpétuelle mutation, en régression certes mais aussi en extension. Je le cite : « Paradoxalement il y a un déclin appréhendé de la France dans l’échelle des hiérarchies des nations anciennes ou émergentes, mais il y a aussi un désir de France hors de nos frontières. Sommes-nous en mesure d’y répondre ? D’aucuns parlent du désamour des Français vis-à-vis de leur propre langue qui aurait gagné les Autorités de l’État en charge de la représentation de la France à l’étranger ».

a. Afrique du Nord et Moyen-orient

Le français est langue seconde et langue d’enseignement dans les pays d’Afrique du Nord. En Égypte et au Liban il est également langue d’enseignement mais davantage langue étrangère que langue seconde. Certes le français jouit d’un engouement dans le monde arabe mais la situation est évolutive. Ainsi les établissements privés libanais se tournent de plus en plus vers l’anglais. La baisse qualitative du niveau (la mise à niveau est indispensable pour entrer à l’Université) est régulièrement déplorée.

b. Afrique subsaharienne et Océan Indien

Le français est traditionnellement langue de culture, de l’administration et de l’enseignement sur le continent africain. Toutefois il n’y est ni langue première, ni tout à fait langue seconde, ni véritablement langue étrangère. Le déséquilibre en milieu plurilingue de certains systèmes éducatifs africains lorsque le français est langue d’enseignement pour des apprenants dont l’immense majorité ne le parle pas du tout en dehors de l’école (cf. le Niger) impose une réflexion de fond. L’avenir de la francophonie se joue en Afrique nous dit-on. Or la France est plus en plus interpellée pour son passé et plus que jamais confrontée sur ce continent, à la question de la cohérence de ses missions (cf. son rôle en Côte d’Ivoire). Elle se doit de redéfinir le sens de son action culturelle et linguistique, d’envisager un français moins élitiste et plus dynamique dans ses contacts avec les autres langues africaines.

c. Amérique

Sur le continent américain, le français se situe dans des contextes d’enseignement tout à fait différents. Langue minoritaire mais reconnue officiellement au Canada anglophone, il est au Québec la langue première de la majorité des apprenants, et il y a le statut de la languee de l’indépendance et de l’émancipation face au géant américain. Langues de quelques minorités, ou langue étrangère il y a aussi un désir de France en Louisiane, qui n’appartient pas à la francophonie mais qui développe l’enseignement du français dans les écoles primaires. Aux États -Unis, le français reste malheureusement le privilège d'une élite, alors qu'il y a 20 ans son apprentissage parmi les étudiants était beaucoup plus répandu qu'aujourd'hui.

d. Caraïbes

Aux Caraïbes le français bénéficie incontestablement de la présence des créoles à base lexicale française, non seulement en Guadeloupe, en Martinique, en Haïti (ou le créole est langue officielle avec le français) et en Guyane, mais également à Sainte-Lucie. Malheureusement la parenté du créole avec le français rend pour certains l’apprentissage de celui-ci inutile. En Haïti, le délabrement du système scolaire explique le développement spectaculaire de l’enseignement privé. Ce phénomène se retrouve au Brésil, où le Mercosur a considérablement renforcé l’intérêt pour l’espagnol au détriment du français. Le système parascolaire brésilien s’efforce de répondre à la demande des classes moyennes et supérieures en quête d’une éducation mondialisée, et elle fonde ses stratégies de vente de cours de langues étrangères prioritairement sur l’anglais.

e. Asie et Océanie

Cette région du monde où le nombre de locuteurs francophones est le plus faible connaît lui aussi une montée en puissance de l’anglais. Le français y est traditionnellement la langue des élites. Le Cambodge, le Laos, et le Vietnam, membres de l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie), mais aussi la Corée du Sud, la Thaïlande, et le Japon sont incontestablement francophiles, et la demande d’apprentissage du français y progresse. Le gouvernement laotien soutient l’usage du français dans les textes officiels de son administration. En Chine, le nombre d’établissements nationaux qui enseignent le français a pratiquement doublé en 5 ans, de même que le nombre d’Alliances françaises.

f. Europe

Le français est la deuxième langue de l’ensemble de l’Europe en nombre de locuteurs, son enseignement y étant fortement lié à la construction européenne. Le français est langue de travail au Conseil de l’Europe, et trois villes sièges des institutions européennes − Bruxelles, Strasbourg et Luxembourg − sont francophones. L’enseignement bilingue à profil francophone, est en place en Bulgarie, en Pologne, en Macédoine, République Tchèque et Albanie. En Roumanie et en Macédoine, le français, même s’il est concurrencé par l’allemand, reste en bonne position en tant que première langue (51°/° des élèves roumains). Mais d’une façon générale les responsables roumains, bulgares regrettent l’insuffisance de la présence française.

La mainmise de l’anglais dans le privé se retrouve dans le marché des langues à l’école française dans toute l’Europe. Les phénomènes mondialisés de parascolarisation ou de privatisation se développent parallèlement à la massification de l’éducation. Ainsi en Grèce les frondistiria gagnent de plus en plus de terrain au détriment parfois des instituts privés déjà en place, et il n’existe plus que l’Institut français d’Athènes et son annexe de Thessalonique.

La question se pose, de toute évidence, de la place du français dans un monde où la compétition pour la puissance économique va de pair avec une scolarisation à deux ,trois ou quatre vitesses.

Il faut une fois de plus constater l’inefficacité de nos Institutions dans de nombreux pays, alors même que les Chefs d'États se réunissent lors des sommets francophones et que s'organisent des rencontres nord-sud pour la « coopération culturelle et technique » et pour affirmer la présence de la langue-culture française. Voici quelques exemples récents qui illustrent une réalité contraire à ce qui est annoncé dans les discours officiels :

− En République Démocratique du Congo la France ferme un centre culturel qu’elle a ouvert seulement deux ans plus tôt.

− L’avenir du Centre culturel de Hanoi est aujourd’hui compromis. Tous les postes d’enseignants français natifs sont supprimés. Or s’il n’y a plus de professeurs natifs les étudiants vietnamiens n’y viendront plus

En Europe les institutions françaises assurant l’enseignement de la langue-culture française ferment les uns après les autres : c’est le cas en Allemagne ; en Grèce, où la France a fermé en 10 ans 26 centres culturels sur les 30 existants ; en Autriche avec l’arrêt récemment annoncé des cours grands publics de l’Institut français de Vienne, au moment même où l’Autriche prend la présidence de l’Union européenne,

Tout se passe vraiment comme si, cédant au pragmatisme des illusions perdues, les autorités françaises se désengageaient de la politique linguistique et culturelle sur le terrain.

2. Institutions

2.1 Les institutions européennes et francophones

L’avenir du français se joue, nous dit-on, dans la défense de notre langue au sein des institutions européennes. Or là aussi la France désinvestit, alors même que l’un des enjeux de l’élargissement de l’Europe devrait être la défense de la diversité linguistique et culturelle. La France a été en 1990 à la pointe de la défense d’une Convention de l’UNESCO, adoptée par 148 voix contre 2 (USA et Israël) sur la protection de la diversité des contenus culturels et des expressions artistiques. Cette convention, qui a été ratifiée depuis par 30 états, affirme le droit pour un pays de décider par lui-même de ce qui est culturel et de ce qui ne l’est pas.

2.2 L’institution scolaire en France

La démocratisation du système scolaire, qui a été jusqu’ici conduite avec la logique démocratique d’égalitarisme, doit désormais intégrer une autre logique, celle de la différenciation et de l’autonomisation de l’apprentissage. Mais certains enfants, et parmi eux beaucoup de ceux qui sont de milieux populaires et d’origine étrangère, ne se retrouvent pas à égalité avec d’autres face à ce projet pédagogique, de sorte que la question de la « discrimination » positive se pose de manière incontournable.

À quoi bon défendre sur le plan international des valeurs qu’on ne défendrait pas concrètement chez nous ? La défense du français et d’une certaine idée de la langue française, ce n’est pas seulement une bataille à gagner pour faire une place à la langue de Molière ou de Prévert au moment des Jeux Olympiques. Cette défense implique d’assurer chez nous la défense des variétés de parlers français ainsi que la reconnaissance du plurilinguisme dans notre pays.

Une autre bataille doit se jouer sur le terrain des valeurs et des idéaux républicains français. En particulier ceux qu’affirment la loi sur la laïcité et la liberté de conscience, loi unique au monde qui protège la liberté d’exprimer ses convictions et ses croyances mais autorise également à les discuter.

2.3 Les institutions de formation pour adultes

En fonction du contexte socio–économique, les flux migratoires évoluent et avec eux les dispositifs de formation et d’insertion des institutions qui assurent le terrain.

En formation de base la demande est très forte, alors même que trop de formateurs sont abandonnés à leur initiative sans avoir reçu une formation adéquate pour la formation dans une perspective d’intégration-insertion sociale de populations d’origine étrangère souvent stigmatisées et confrontés à la pauvreté. Le travail avec ces populations pose la question éthique du sens de ce projet d’intégration-insertion : Qui ? Pourquoi ? Que s’est-il passé avant ? Que se passera-t-il après ?... Les besoins exprimés par les formateurs sont généralement liés en un premier temps aux aspects linguistiques (par exemple avoir reçu une formation en alphabétisation), aux outils, aux méthodes, aux démarches utilisées. Mais apparaissent aussi des besoins concernant le milieu et l’insertion professionnelle, la connaissance des publics, le travail en réseau, les différentes formes de médiation sociale.

Ces formateurs, qui sont les acteurs clés des dispositifs de formation, sont souvent à l’image de leurs élèves et aussi des organismes qui les emploient, avec comme maître mot la précarité : les dispositifs de formation sont éphémères ou se transforment d’une année sur l’autre. Les directeurs ne peuvent assurer la pérennité de l’emploi, le statut du formateur est donc lui aussi précaire. Éducateurs spécialisés, animateurs culturels, professionnels du FLE-FLS, quels que soient leur dénomination professionnelle, vivent des conditions de travail très difficiles.

2.4 L’institution universitaire

L’une des caractéristiques constitutives de la profession, comme nous l’avons vu, c’est la très grande diversité du public et donc du métier.

Ce n’est pas donc un hasard si ce que l’on appelle « le paradigme de complexité » a émergé depuis quelques années dans la conception de sa discipline de référence, la didactique des langues-cultures. S’opposant à tout réductionnisme abstrait à partir de descriptions qui se veulent « scientifiques » (entre guillemets) de l’objet langue, Robert Galisson et Christian Puren ont mis en avant l’exigence fondamentale de contextualisation dans la réflexion et l’intervention didactiques. Il s’agit − je cite Galisson − d’« assumer le réel au nom de la complexité », de « pratiquer le décloisonnement systématique de l’espace étudié, d’en accepter les solutions incomplètes, diverses, voire impossibles ». Tous deux affirment la nécessité de donner la priorité aux sujets concrets avec leurs particularités (leur histoire, leur cultures, leurs représentations, leur projet,…) et leur environnement (leur milieu de vie, la société d’accueil, l’établissement d’enseignement,…). Avec les concepts d’« éclectisme », d’ « éco-méthodologie » ou encore de « didactique complexe » proposés par Christian Puren, l’accent est mis sur un processus d’adaptation mais qui soit en même temps un processus d’innovation, parce qu’il s’agit de répondre sur le terrain à des attentes et besoins aussi diversifiés et évolutifs qu’imprévisibles.

C’est pourquoi la discipline « didactique des langues-cultures » se retrouve très souvent à l’étroit dans les cadres académiques que lui assigne l’institution universitaire traditionnelle. Ces États Généraux auront sans doute à l’interpeller sur la question primordiale de la liaison entre la formation universitaire et la professionnalisation. Cette liaison est souvent exprimée dans notre pays sous la forme de la « relation théorie-pratique » − au demeurant véritable nœud gordien de représentations plus ou moins conscientes −, mais cette liaison entre formation universitaire et professionnalisation doit aussi être interrogée en termes de responsabilité de l’université vis-à-vis non seulement des perspectives professionnelles des étudiants, mais aussi des enjeux et orientations politiques de la maîtrise du français en France et de la diffusion du français à l’étranger.

Sur tous ces points, le passage récent au LMD a donné lieu à des évolutions que ces États Généraux devront analyser, et à des dérives évidentes qu’il leur faudra dénoncer.

2.5 Les institutions européennes et francophones

L’avenir du français se joue en particulier dans la défense de notre langue au sein des institutions européennes. Or là aussi la France se désinvestit, alors même que l’un des enjeux de l’élargissement de l’Europe devrait être la défense de la diversité linguistique et culturelle. La France a été en 1990 l’un des promoteurs d’une Convention de l’UNESCO, adoptée par 148 voix contre 2 sur la protection de la diversité des contenus culturels et des expressions artistiques. Cette convention, qui a été ratifiée depuis par 30 états, affirme le doit pour un pays de décider par lui-même de ce qui est culturel et de ce qui ne l’est pas.

Il faut sur ce point affirmer simultanément un certain nombre de convictions partagées avec des praticiens de l’interculturel dans les rencontres internationales (Jacques Demorgon) ou le travail social (Gilles Verbunt), ou encore par le sociologue Bernard Lahire :

− Tout n’est pas culturel.

− Tout ce qui est culturel n’est pas forcément respectable.

− Toute culture particulière est de l’ordre du produit tout autant que du processus : chaque culture s’est créée par confrontation avec d’autres cultures dans un processus dynamique qui se poursuit constamment.

− Tout individu doit pouvoir disposer d’une marge de manœuvre qui lui permette de faire jouer sa singularité.

− Enfin toute culture particulière doit se situer par rapport à une culture universelle, même si les valeurs universelles ne peuvent plus être la simple reprise de celles de l’humanisme classique occidental.

Il y a là certainement matière à discussion au cours de nos États Généraux, étant donné l’importance du thème culturel dans la stratégie des organisations internationales et des institutions européennes, ainsi que dans celle − pour faire vite − de la « francophonie ». Actuellement, l’État français, très clairement, applique depuis des années, toutes orientations politiques confondues, une politique de repli de l’enseignement du français à l’étranger sur des institutions privées ou semi-privées. Il faut bien sûr dénoncer fermement les problèmes statutaires et financiers des enseignants concernés, mais aussi faire en sorte que se mettent en place en France les conditions d’un débat démocratique régulier sur la politique linguistique tant intérieure qu’extérieure, au même titre que les débats qui ont lieu périodiquement sur la politique internationale, éducative, fiscale ou encore sécuritaire de notre pays.

3. Formations et formateurs

3.1 La situation actuelle

Les enseignants certifiés en FLE-FLS appelés à enseigner dans l’ensemble du système éducatif et des centres de formation sont en majorité des « hors-statuts ».

Le Ministère de l’emploi encourage le développement de la formation professionnelle pour adapter les qualifications professionnelles aux exigences de la modernisation des entreprises et permettre à chacun notamment les défavorisés d’accéder à l’emploi. Or l’enseignement aux publics en difficulté est majoritairement donné en France :

− soit, dans le primaire et le secondaire, par des professeurs non qualifiés en français langue étrangère parce qu’il ont préparé le CAPES de Lettres classiques ou le CAPES de Lettres modernes, qui sont des concours de français langue maternelle ;

− soit, pour l’enseignement aux adultes dans le secteur public (Centres universitaires) ou du secteur privé, par des personnels souvent très bien formés aux aux publics FLE-FLS, mais qui souvent se trouvent paradoxalement en situation précaire (contractuels et vacataires).

3.2 La question de l’ouverture des concours

C’est pourquoi ces États Généraux doivent engager une réflexion très importante sur la question de l’ouverture des concours de recrutement au champ du FLE-FLS. Depuis un certain temps des collègues − Christian Puren, Jean Marie Gautherot et moi-même, par exemple, avançons un certain nombre de propositions alternatives dont certaines ont déjà été adoptées en congrès par notre syndicat :

− Création de licences professionnelles en langues afin de préparer au concours au concours du professorat des écoles les futurs candidats, qui seront tous appelés en principe à enseigner des langues étrangères ou régionales à l’école élémentaire.

− Création pour l’enseignement secondaire (général, technologique et professionnel) et le supérieur (centres de FLE-FLS) de nouveaux concours.

− Aménagement des actuels concours de langues vivantes étrangères (Lettres modernes et Lettres classiques, anglais, espagnol, arabe, chinois…) par des options conséquentes ;

− Création d’un CAPES « bi-langue » qui favoriserait la mobilité professionnelle grâce à une formation tout autant à l’enseignement du FLS en France qu’à l’enseignement du FLE à l’étranger, mais aussi, à l’étranger, et qui serait largement ouvert aux nouveaux dispositifs d’enseignement tels que l’enseignement à distance ou le tutorat en centres de ressources multimédia.

− Extension de la Validation des Acquis d’Expérience (VAE), déjà mise en place pour les formations et diplômes universitaires, pour l’ensemble de ces concours, ce qui permettrait aux enseignants FLE-FLS dans le Supérieur ou à l’étranger de s’y présenter dans les meilleures conditions possibles.

La question des masters doit être reposée dans cette perspective de reconnaissance statutaire des formation FLE-FLS. Ces nouveaux diplômes auraient dû être en FLE-FLS l’occasion de proposer des parcours adaptés à la diversité des publics du FLE-FLS et visant l’acquisition de réelles compétences professionnelles ciblées par rapport à la demande du terrain et au marché de l’emploi. Ils ont été trop souvent l’occasion pour les départements de linguistique de renforcer au seul profit de leur permanence un détournement d’étudiants d’une manière qui s’apparente parfois à un véritable squattage.

3.3 La question des contrats, en France et à l’étranger

Mais, comme l’a fait remarquer publiquement l’un de nos collègues lors des dernières Assises du FLE-FLS, « tout le monde ne veut pas être fonctionnaire ». Dans la Commission d’organisation de ces États Généraux, qui a travaillé depuis plusieurs mois à la préparation de la présente manifestation, c’est au sein du groupe chargé de la question de « la situation statutaire » des enseignants de FLE-FLS qu’on eut lieu les débats et les échanges d’information les plus intenses. Ce n’est pas seulement parce qu’elle constitue naturellement un aspect décisif de la vie professionnelle, mais parce qu’elle donne lieu, tant en France qu’à l’étranger, à de véritables scandales qu’il faut bien dénoncer. On rappellera ici que 67 °/° des enseignants des Centres universitaires en France sont des vacataires, mais aussi que des organismes français publics ou semi-publics profitent actuellement du recrutement local, qui est devenu la règle, pour imposer des contrats proprement surréalistes au regard du droit français.

Une dissociation totale s’est opérée dans le secteur du FLE-FLS entre rémunération, compétence et responsabilité formative et éducative. Dans le rapport sénatorial de Louis Duvernois de décembre 2004 il était préconisé de mettre en place des certifications avec des salaires attractives garantissant la professionnalisation : nous sommes loin du compte en FLE-FLS, où il serait temps de mettre fin à cette « gabegie » que dénonce très justement l’ADCUEF.

Conclusion

Comme on le voit, bien des aspects de l’état des lieux que je me suis efforcé de dresser ici à grands traits sont proprement désolants. Chaque année, des dizaines de collègues jettent l'éponge et changent de métier pour éviter la précarité, alors qu’ils ont suivi des formations exigeantes. C’est un énorme gâchis d’intelligence au moment même où la « matière grise », comme l’on dit, est devenue le facteur décisif dans la compétition internationale.

Ces États Généraux s’inscrivent dans la perspective d’une initiative heureuse, celle des Assises du FLE-FLS, qui a montré qu’il existait dans notre secteur une multitude de personnes prêtes à s’investir non seulement dans la défense de leurs intérêts légitimes, mais de certaines valeurs qui se trouvent être en jeu dans l’avenir de l’enseignement-apprentissage de notre langue et de la pluralité des langues-cultures en France, en Europe et à l’étranger − votre présence à tous ici, en ce moment, témoigne à nouveau de l’importance de cette mobilisation. Notre combat est de ce point de vue comparable à celui des intermittents du spectacle, qui défendent leur emploi mais dont le combat est indissociable de la défense de la pluralité des cultures face à la mondialisation d’une culture marchande.

Au nom de ces valeurs humanistes, ces États Généraux seront certainement amenés à questionner la loi du marché les injustices sociales ou la mondialisation. Mais notre projet, au-delà de la contestation et de la défense ô combien légitimes et nécessaires de nos intérêts professionnels, vise la proposition de réponses concrètes à court et moyen terme, et la mise en place des moyens à nous donner collectivement pour être capables de les faire entendre et valoir sur le terrain.

Nous sommes heureusement, quelles que soient ses imperfections, ses limites et même ses effets pervers, dans une démocratie qui rend possible que des acteurs nouveaux émergent, se déclarent et s’imposent dans le débat et sur le terrain. Cette possibilité n’est ni donnée à l’avance ni garantie par aucune instance, elle ne peut être réalisée que par la force de nos convictions et de nos actes. Ce sera là, nous pouvons l’affirmer par avance, l’ultime et principale responsabilité de ces États Généraux : fédérer des acteurs intervenant auprès de publics, dans des institutions, dans des pays et avec des responsabilités et statuts très différents, encore une fois, encore une fois non seulement pour défendre une langue-culture, une profession et une discipline, mais aussi des valeurs partagées, et − on me pardonnera ces derniers mots qui ne se veulent pas une simple envolée lyrique finale − une certaine conception de notre humanité en devenir.

Au nom de ces valeurs humanistes, ces États Généraux seront certainement amenés à questionner la loi du marché, les injustices sociales ou la mondialisation antisociale. Mais notre projet, au-delà de la contestation et de la défense ô combien légitimes et nécessaires de nos intérêts professionnels, vise la proposition de réponses concrètes à court et moyen terme, et la mise en place des moyens à nous donner collectivement pour être capables de les faire entendre et valoir sur le terrain.

Nous sommes heureusement, quelles que soient ses imperfections, ses limites et même ses effets pervers, dans une démocratie qui rend possible que des acteurs nouveaux émergent, se déclarent et s’imposent dans le débat et sur le terrain. Cette possibilité n’est ni donnée à l’avance ni garantie par aucune instance, elle ne peut être réalisée que par la force de nos convictions et de nos actes. Ce sera là, nous pouvons l’affirmer par avance, l’ultime et principale responsabilité de ces États Généraux : fédérer des acteurs intervenant auprès de publics, dans des institutions, dans des pays et avec des responsabilités et statuts très différents, encore une fois, encore une fois non seulement pour défendre une langue-culture, une profession et une discipline, mais aussi des valeurs partagées, et – on me pardonnera ces derniers mots qui ne se veulent pas une simple envolée lyrique finale une certaine conception de notre humanité en devenir.


compte rendu de synthèse

Liste des participants inscrits