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ASSOCIATION DE DIDACTIQUE
DU FRANÇAIS LANGUE ÉTRANGÈRE


Les approches non-conventionnelles en didactique des langues

39es Rencontres
vendredi 23 février 2007

Résumé de la journée

En attendant la parution des actes de cette journée, dans les prochains Cahiers de l’Asdifle

Après un café d’accueil, la journée a été ouverte par Claudine Fabre, directrice de l’Alliance Française de Paris, et les participants ont été invités à déposer leurs définitions du non conventionnel, puis Marie Berchoud a posé quelques éléments en vue d’une définition des approches non conventionnelles (approches alternatives pour les Allemands et approches humanistes pour les Anglo-saxons), leur potentiel de questionnement et leurs possibilités de renouvellement de l’existant. A partir du constat que la plupart des enseignants se trouvent conduits à innover, simplement pour bien faire leur métier, là où ils sont, hommage leur a été rendu, puis a été soulevée la question de la diffusion des approches innovantes dans la culture de masse et dans la durée, via les grandes maisons d’édition.

Le non-conventionnel vient en effet se placer en tension avec la tradition, les institutions, et aux marges de celles-ci, précisément au nom de valeurs qui sont celles de cette culture même (innovation, application de découvertes scientifiques, prise en compte des personnes…). Plusieurs questions ont été posées :


Ensuite, Emmanuelle Daill et Isabelle Normand ont présenté sous le titre « Dessine-moi l’intelligence », les travaux autour du Mind Map (Tony Buzan), en français les schémas heuristiques : ce mode d'activité s’appuie sur la non linéarité démontrée du fonctionnement cérébral pour libérer l’énergie mentale et développer les potentiels d’apprentissage, de résolution de problèmes et de gestion de projets. Sur la base de deux axes, la globalité et l’association en réseau, dont l’image se trouve déjà dans les architectures naturelles, par exemple l’arborescence des cellules, les deux intervenantes ont montré ensuite toutes les applications possibles de leur « schéma heuristique » sur tel ou tel thème et dans des situations variées, de la recherche d’idées pour un travail de classe à la prise de notes ou à la conduite de réunion ou la gestion de projets.


Dans l’enseignement des langues, des applications de cette approche montrent ses apports à la mémorisation, à la motivation, au développement de la production orale comme au perfectionnement de l’écrit. Plus généralement, l’apport important est l’identification des compétences et leur développement. Enfin, prendre l’habitude d’utiliser de telles approches permet d’étendre ses facultés d’association, donc sa créativité, notamment dans la résolution de problèmes. Ainsi, en décloisonnant les savoirs et les activités, peut-on dépasser les habitudes scolaires qui voient le travail intellectuel comme linéaire, parce qu’elles confondent les processus et les résultats.


Après la pause-café qui a permis les discussions et les contacts, Enrica Piccardo a fait le point sur les « approches humanistes », humanistic approaches, Alternative Methoden, en alliant point de vue historique et parti pris philosophique : son point de départ est Nietzsche, le « gai savoir », qui englobe tous les aspects de l’être humain, non seulement la raison mais aussi l’émotion. Les émotions ont longtemps été mal considérées dans la culture occidentale : si Hume leur donnait une place importante en les faisant objet de ses études, bien d’autres philosophes ne les considéraient comme dignes de leur attentions. Descartes avait bien séparé tout ce qui relève de l’esprit de ce qui relève du corps, seul lieu où les émotions pouvaient trouver leur place, esquissant une voie destinée à marquer longtemps la vision occidentale. Malgré des études anticipatrices dans ce domaine de Darwin, James et Freud, les émotions mirent du temps à intéresser les neurosciences naissantes qui les localisaient dans les strates neuronales inférieures du cerveau. Aujourd’hui, les travaux d’Antonio Damasio (neurologue, Université de l’Iowa) montrent toute l’importance des émotions dans la vie psychique et intellectuelle. On découvre (en particulier grâce aux travaux de Howard Gardner et à la synthèse de Daniel Goleman, qui est parti des travaux d plusieurs chercheurs dont Peter Salovey psychologue à Yale) qu’il n’y a pas une, mais des intelligences, dont l’intelligence émotionnelle et l’intelligence sociale, et que la classe de langue - avec son positionnement par rapport au sujet qui apprend comme le dit Alain Coïaniz - est un lieu privilégié pour mettre en œuvre ces diverses intelligences pour passer, comme le dit Bernard Dufeu, d’une pédagogie de l’avoir à une pédagogie de l’être.


Ainsi se déploient les approches dites humanistes, et leur nécessité dans l’enseignement, en particulier des langues, apparaît très forte. Parmi ses précurseurs ou fondateurs, il faut citer Charles Curran et Caleb Gattegno (cf. ci-dessous, communication de l’après-midi), mais aussi Carl Rogers, Abraham Maslow, Lev Vigotsky, Jacob Levi Moreno et Paulo Freire.


Earl Stevick, quant à lui, a distingué cinq composantes dans l’approche humaniste : les sentiments, les relations sociales, la responsabilité, l’intellect et la réalisation de soi. Il a également cherché à saisir ce qu’il y avait d’humaniste dans les méthodes existantes, sur la base de trois questions : quels attributs uniques de l’homme soulignés ? Quel type de liberté est offerte à l’apprenant ? Quelle est la contribution à la dignité de l’être humain. Ainsi pouvait s’ouvrir la dimension complexe de l’apprentissage ; et on pouvait poser la question de ce qui pouvait être inséré dans les contraintes de l’institution.


Enfin, d’autres apports essentiels ont été les travaux d’Alberto Bandura sur l’auto-efficacité, avec les notions d’expérience vicariante et d’agentivité, ainsi que ceux de Mihaly Csikszentmihalyi (université de Chicago) sur l’expérience optimale et le « flow », « fluidité » de l’état d’âme lié à l’expérience optimale.

Enrica Piccardo présente ensuite d’autres personnalités telles que Gertrude Moskovitz ou Mario Rinvolucri, puis rappelle que le Cadre européen de référence sur les langues n’est pas seulement un ensemble de grilles d’évaluation, mais comporte une première partie dans laquelle on peut retrouver des ouvertures et des réflexions qui n'empêchent absolument pas l’intégration de la dimension humaniste dans l’ensignement/apprentissage. Cela suppose toutefois que l’enseignant s’implique dans son développement personnel autant que professionnel. Les diverses questions de la salle manifestent l'intérêt pour ces approches et manifestent que la demande sociale et pédagogique est toujours bien présente.


Après bien des échanges et retrouvailles autour des tables du repas, l’après-midi est ouvert par Barbara Villez, professeur à l’université Paris-VIIII. Barbara Villez explique par la pratique ce qu'est l'approche par le silence, créée par Caleb Gattegno (1968), qui a tout d’abord travaillé sur l’analphabétisme, notamment pour l’UNESCO. Il s’agit d’une approche de groupe basée sur les interactions collectives, car on n’apprend pas tout seul, et aussi sur la perception et l’action, en lien avec la mémoire et le jeu : on parle de ce qu’on voit, on parle de ce qu’on fait, dans le respect des rythmes et des styles d’apprentissage de chacun. Par la création par le groupe de situations d’apprentissages variées, ce groupe commencer à exister par lui-même dans l’ordre de ses démarches. Il s’agit d’être ensemble pour apprendre, l’aide et la collaboration sont valorisées. Pour autant, il ne s’agit pas de créer un groupe fusionnel, bien au contraire, l’indépendance est promue, une indépendance en termes de réalisation et pas seulement de potentiel. Comment ?

Pour commencer, des objets très simples sont introduits dans l’espace de la classe, ce sont des tableaux avec les lettres et les graphies variées mises en couleurs selon les correspondances phonétiques (mais les lettres muettes sont grisées) : ainsi, la parole peut être associée à de la graphie. Ce sont aussi des boîtes de réglettes qui vont servir de base à l’échange mutuelle et à la parole qu’on peut poser sur cet échange pour l’accompagner, l’expliquer, l’améliorer…. Ce sont aussi des images sur lesquelles on peut parler, il y a des choses à dire. Ces images semblent aujourd’hui un peu désuètes, mais en réalité, elles ont toutes une petite étrangeté de nature à susciter l’intérêt, l’étonnement, la curiosité – bref, à faire parler. Voilà qui permet l’implication de tous et le développement d’une variété de pratiques. Par exemple, pour donner un ordre, ou demander quelque chose, on peut voir par combien la diversité des formules et formulations est grande.

Parmi les questions posées à B. Villez, il y a celle, portant sur les graphies non alphabétiques et Barbara Villez répond que l’orthographe latine n’est pas la seule, il existe une version de l’approche par le silence avec les caractères chinois, et d’autres aussi. Une autre question est celle des niveaux, il y en a trois, ce dont les ouvrages de Gattegno traduisent. De même, pour la question du passage à l’écrit, cette approche part toujours de ce qui a été dit par les apprenants, pour le traduire à l’écrit. Et Barbara Villez conclut en disant que Gattegno a été l’un des premiers à systématiser le découplage entre enseignement et apprentissage : pour lui, l’enseignement doit être subordonné à l’apprentissage.


Puis Michel Drouère, de la CCIP, prend la parole pour développer son témoignage d’enseignant de langue qui a vécu cette approche comme stagiaire et apprenant lorsqu’il était aux Etats-Unis, « dans les bois du Vermont ». Bien qu’il ait travaillé ensuite au Mexique, en Allemagne et en Pologne, cette expérience reste pour lui très forte et très instructive : l’apprenant est en effet placé devant ses responsabilités, il ne peut jouer la passivité ou l’obéissance aveugle au maître ; au contraire, il s’agit pour chacun d’être actif dans son apprentissage, de se créer ses propres critères, en recherchant toutes les occasions d’apprendre, en acceptant de s’exposer, et en suspendant tout jugement.

Il s’agit donc d’une expérience tout à fait fascinante. Mais parfois aussi, les tensions dans le groupe sont difficiles à vivre : en même temps qu’on apprend une langue, on apprend aussi (ou on réapprend) l’autonomie, la coopération, l’effort en commun, la joie de réussir… Nous voilà bien loin des apprentissages scolaires trop souvent monochromes et monotones, à l’issue desquels il n’est pas du tout sûr que l’élève parlera la langue.


Ensuite, et encadrant la pause de l'après-midi, deux interventions s'intéressent à la diffusion des approches non conventionnelles et de l'innovation en général par le biais des entreprises de formation et des éditeurs.

Cécile Pires et Pascal Le Meur présentent une méthode fondée sur les découvertes du docteur Tomatis et en particulier celles-ci : notre voix, c’est nous, une part de notre identité ; et puis, on parle comme on entend, et donc, si on entend mal on parlera mal une langue ; notre oreille est en effet configurée par notre langue première, ce qui fait que nous entendons mal les sons étrangers, et nous les reproduisons mal. Mais si un dispositif technique nous permet d’entendre notre parole en langue étrangère, puis la parole d’un locuteur natif ou d’une locutrice native, puis notre parole transformée techniquement, alors, en entendant autrui comme modèle, et en nous entendant nous-même mais en mieux, nous pourrons progresser. C’est la méthode qui a été nommée Speedlingua.

Marilu Borg, elle, vient ensuite montrer comment un ensemble de travaux et d’expérimentations pédagogiques menées depuis un certain nombre d’années autour des publics d’apprenants vivant en milieu homoglotte, donc pour nous en milieu français ou francisant, peut être regroupé et diffusé par le biais d’une méthode, Ici. Certes, on ne peut recréer ou simuler la vie d’un groupe, mais on peut, et c’est l’ambition de cette approche, donner au groupe d’apprenants et à leur professeur beaucoup d’idées, de situations vécues ou à vivre, pour relier l’apprentissage et la vie, en respectant des progressions, et en évitant les leçons trop convenues. Ainsi, le milieu est-il sollicité pour stimuler l’apprentissage, par des aller-retour de la classe au dehors, et cela de façon organisée et continue.


Cette journée se clôt avec une table ronde de débats et discussions ouverte et régulée par Jean-Pierre Cuq. Celui-ci se demande pourquoi ces approches non conventionnelles ne se sont pas plus imposées : est-ce une incompatibilité avec l’institution ? Mais peut-être des choses importantes sont-elles passées malgré tout – et il y a les TICE… Cependant, il faut sans doute poser des limites, mais lesquelles ? Et en fait, l’espace et le temps des apprentissages constituent les premières limites, qui s’imposent à nous. Francis Carton remarque ensuite que les manques du conventionnel sont comblés en didactique du FLE/S, et aussi par les aspects culturels et relationnels des apprentissages. On peut donc remarquer que des choses sont passées, de la suggestopédie, de l’approche naturelle, ou de l’approche physique totale et il cite : le lien au passé, le « filtre affectif » dans l’apprentissage, l’importance du corps, et aussi les relations entre acquisition et apprentissage.


Barbara Villez montre, quant à elle, la capacité des approches non conventionnelles à traiter l’inattendu. Elle observe également qu’en matière d’approches non conventionnelles, les intentions ne suffisent pas, il faut des réalisations ; et la première d’entre elles est la formation des enseignants, à la fois pourvoyeur de situations, régulateur et meneur de jeu ; et en effet, il est question de jeu, d’invention, de recherche et aussi de résolution de problèmes. Enrica Piccardo explique, de son côté, que des choses ont été sous-estimées dans le communicatif, tant dans les manières d’apprendre que dans le rôle des enseignants. IL faut en tout cas profiter de l’expérience accumulée dans et avec ces approches non conventionnelles pour mettre au point des matériels pédagogiques non structurés qui mèneraient les apprenants à faire plutôt qu’à utiliser. Les technologies peuvent peut-être servir de base à de telles approches collaboratives et mutualisées. Il s’agit là d’une diffusion paradoxale, car collaborative elle aussi.


Louis Porcher (fondateur de l’Asdifle) prend la parole et conclut avec des rappels : le non conventionnel, c’est ce qui surgit, l’imprévisible. Mais il est minoritaire. En fait, ce qui a sens, ce qui est porteur, c’est le couple, toujours vivant, souvent en crise, qui unit conventionnel et non conventionnel : l’un se situe plutôt du côté des résultats et l’autre du côté des processus ; c’est dire qu’il vit la diversité – surtout au plan mondial. Enfin, il y aurait certainement un champ de recherches à ouvrir sur l’épistémologie du non conventionnel. Au total, vient de se dérouler une journée très conventionnelle,… mais qui est là, et même qui va se poursuivre durant l’année avec d’autres rencontres. Le non conventionnel, en tout cas, fait parler !


Votre définition du non conventionnel...


Dernière mise à jour : 21/03/07

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