Le Figaro
extrait du n° 18656 du vendredi 30 juillet 2004, p. 8

Le français, c'est aussi une « langue étrangère », enseignée dans 120 pays, tous représentés au congrès qui vient de se tenir à Atlanta, aux Etats-Unis


Les profs étrangers au secours du français

Marielle COURT

Quelque 1 300 enseignants représentant 120 pays : le onzième congrès de la fédération internationale des professeurs de français (FIPF) qui s'est tenu toute la semaine dernière à Atlanta (Géorgie), aux États-Unis, a fait le plein. L'occasion pour tous ces hommes et femmes venus des quatre coins du monde de rappeler que l'enseignement de la langue de Molière reste largement répandu. « Comme pour l'anglais, pas une minute ne s'écoule sans que quelqu'un dans le monde n'apprenne le français », assure Dario Pagel, professeur brésilien, président de la FIPF.

Les porte-drapeaux de la francophilie sont loin d'afficher une satisfaction béate. Dans beaucoup de pays, en effet l'enseignement du français ne s'impose plus. « Il existe trois grandes zones dans le monde », explique Pierre Morel, chef de projet à l'agence universitaire de la francophonie. Les régions où le français est la langue maternelle ne connaissent évidemment pas de difficultés particulières. A ce détail près pour la France : « C'est le pays qui croit le moins à la francophonie », affirme le spécialiste. « C'est en France que l'on prend le moins de soin de la langue française », renchérit l'académicienne Hélène Carrère d'Encausse qui intervenait au congrès.

Viennent ensuite les pays où le français est la seconde langue, voire la langue officielle. Ils se trouvent en Afrique noire, au Maghreb, en partie également au Liban. « Là, le français garde sa place. Simplement, il doit absolument s'adapter », précise Pierre Morel. L'idée, notamment, qu'il est beaucoup plus efficace d'installer correctement les enfants dans leur langue natale avant de les amener au français semble désormais bien ancrée.

Il y a enfin tous ces autres Etats où le français n'est qu'une langue étrangère parmi d'autres. « Dans ces pays, on assiste à une diminution de son enseignement », affirme le représentant de l'AUF. A cela, plusieurs raisons. La première est évidemment liée à la concurrence des autres langues. L'anglais, bien sûr, mais également l'espagnol. Beaucoup de gouvernements, par ailleurs, n'imposent pas l'apprentissage d'une langue étrangère dans le cursus scolaire : « Lorsqu'il n'y a plus d'argent, la deuxième langue vivante est supprimée », précise ainsi Martine Defontaine, secrétaire générale de la FIPF.

De quoi se laisser gagner par un certain pessimisme ? Vu d'Atlanta, sûrement pas. D'abord parce que l'ensemble des professeurs de français, au-delà de leur statut d'enseignants, revendiquent volontiers celui de militants : « des militants du français qui oeuvrent dans le monde entier au service de la langue et de la culture françaises, comme l'a souligné Xavier Darcos, ministre de la coopération, dans son intervention en ouverture du congrès. L'existence de ce réseau de solidarité et de conviction honore les francophones maternels que nous sommes. »

Ensuite, parce que si l'objectif, aujourd'hui, n'est plus de se battre pied à pied avec l'anglais qui, selon beaucoup d'intervenants, serait devenu une « vulgate internationale » il est bien, en revanche, de maintenir coûte que coûte le plurilinguisme. « Le défi de la diversité », tel était d'ailleurs l'intitulé du congrès. « Ce n'est pas l'usage de l'anglais qui nous inquiète c'est la disparition de la diversité linguistique », a lancé Abdou Diouf, secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie lors de la session inaugurale. « La diversité culturelle est un droit et non un privilège », a rappelé pour sa part Nathalie Normandeau, ministre au développement régional du Québec.

Cela ne se fera pas tout seul. Surtout quand l'un des buts affichés par plusieurs personnalités est de changer la perception que l'on peut avoir du français à l'étranger. « Il faut que cette langue de la littérature, de la culture soit également considérée comme langue du commerce et de la technologie », a insisté Roger Dehaybe, administrateur général de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie. « Pour être désiré et crédible, le français doit être utile », a complété Abdou Diouf.

Bien évidemment, les enseignants de français sont des relais extrêmement importants. Pour eux, la priorité est de pouvoir être en contact avec un pays francophone et, surtout, de se former régulièrement. Tous les pays francophones ont des politiques de soutien qui passent par des bourses, des subventions, des fonds pour la recherche, pour l'organisation de concours ou l'achat de matériel pédagogique. « Les outils se multiplient », a noté Abdou Diouf, évoquant des sites Internet, les programmes de TV5, la revue Le Français dans le monde ou encore certains programmes de RFI.

« Il y a un défi à relever, comme la réponse à apporter non à un phénomène de déclin général mais à un phénomène de diversification de la demande pour notre langue à travers le monde », a soutenu Xavier Darcos. « Ce ne sont pas une mais des politiques du français qu'il nous revient de définir », a poursuivi le ministre, rappelant les différentes opérations déjà engagées par la France, dont la formation de 3 000 enseignants en trois ans en Amérique latine.

Il a par ailleurs annoncé la création d'un fonds d'innovation pédagogique qui sera doté de 100 000 euros annuels. Il servira à soutenir les projets les plus novateurs en matière d'enseignement du français langue étrangère. Xavier Darcos a également évoqué l'organisation de stages de formation pour apprendre aux associations locales d'enseignants les techniques du « lobbying ». Enfin, le ministère de la coopération va prendre entièrement ou partiellement à sa charge 1 500 abonnements de la revue Le Français dans le monde qui est parfois le seul lien francophone de certains enseignants isolés.

« Reconnaissons ici, au pays de la « langue globale » qui nous accueille si chaleureusement, que l'anglais est probablement la seule langue qui vienne à vous spontanément, où que vous vous trouviez sur le globe, alors que, bien souvent, on continue de devoir venir à la langue française », a conclu le ministre.

Ce constat n'effraie pas les milliers d'enseignants présents à Atlanta, tous passionnément francophiles et de mieux en mieux organisés au sein de la FIPF. La fédération devrait d'ailleurs prochainement avoir pignon sur rue. Hélène Carrère d'Encausse a effectivement annoncé à Atlanta qu'elle allait être récompensée du prix Louis D dans le domaine culturel. Décerné par l'Institut de France, ce prix d'un montant de 750 000 euros lui sera remis très officiellement le 20 octobre à l'Institut.

Quelques chiffres
  • On estime le nombre de francophones (langue maternelle ou seconde langue) à 180 millions dans le monde.
  • 82,5 millions d'élèves apprennent le français comme langue étrangère dans les systèmes éducatifs nationaux.
  • 500 000 personnes suivent des cours de français dans les 151 établissements culturels et les 287 alliances françaises.
  • On recense 900 000 enseignants de français dans le monde.

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