Hélène KNOERR, Alysse WEINBERG
avec Aline GOHARD-RADENKOVIC

Quand bilinguisme rime avec immersion en français
 à l’Université d’Ottawa et au-delà…

Projet de recherche coordonné par: Hélène Knoerr et Alysse Weinberg, ILOB /OLBI, Université d’Ottawa 
avec la collaboration de Aline Gohard-Radenkovic, Université de Fribourg, Suisse

L'immersion en français à l'université. Politiques et pédagogies ISBN : 978-2-7603-229-36 (édition papier)


Introduction.
Le bilinguisme au Canada, une affaire fédérale

Il nous faut retracer brièvement le contexte politique qui a permis la reconnaissance officielle des deux langues du bilinguisme pour comprendre le rôle clé qu’a joué l’immersion en français, popularisée par la première expérience de St-Lambert en 1965 à Montréal et devenue au Canada le fer de lance du maintien du bilinguisme, notamment en soutenant l’enseignement de la langue minoritaire, à savoir le français, au niveau éducatif.

La Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (aussi appelée Commission Laurendeau-Dunton) est une commission instituée par le gouvernement canadien de Lester B. Pearson le 19 juillet 1963 avec le mandat de « faire enquête et rapport sur l’état présent du bilinguisme et du biculturalisme, et de recommander les mesures à prendre pour que la Confédération canadienne se développe d’après le principe de l’égalité entre les deux peuples qui l’ont fondée, compte tenu de l’apport des autres groupes ethniques à l’enrichissement culturel du Canada, ainsi que les mesures à prendre pour sauvegarder cet apport »1

Les membres de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (Livre II : L’éducation) reconnaissent dans leur rapport que :

[…] l’acquisition d’une deuxième langue est source d’enrichissement, car elle ouvre à une autre culture. Au Canada, cette autre culture est celle d’un grand nombre de Canadiens. […] En multipliant les bilingues, [l’]enseignement [de la langue seconde] réduira le fossé linguistique. Il peut jouer un rôle considérable aussi en favorisant au sein de chaque groupe la compréhension des attitudes et des aspirations de l’autre. […]

La Commission publia son rapport et ses recommandations en 1969, quelque quatre ans après la publication de son rapport préliminaire paru le 25 février 1965. Toujours en 1969, le gouvernement libéral de Pierre Elliott Trudeau promulgua la Loi sur les langues officielles qui proclamait l’anglais et le français langues officielles de l’Etat fédéral canadien. Cette loi créa aussi le Commissariat aux langues officielles, chargé par le Parlement de recevoir les plaintes du public, de faire enquête et de proposer des recommandations. Suite à la loi sur les langues officielles (1969), les années Trudeau ont vu la généralisation de programmes de formation afin de répondre aux exigences de bilinguisme dans la fonction publique.

1. De l’immersion traditionnelle à l’immersion universitaire en français au pays du bilinguisme : le choix de la continuité

L’immersion française au Canada est née en 1965 dans une école primaire en banlieue de Montréal afin de répondre aux besoins des enfants anglophones appelés à vivre et travailler dans le nouveau contexte francophone du Québec (LAMBERT et TUCKER, 1972). C’est à partir de cette première expérience, appelée expérience de St-Lambert que l’immersion s’implante par la suite dans les écoles primaires et secondaires partout au Canada (JOHNSON et SWAIN, 1997). Par contre, ces étudiants n’ont que deux choix lorsqu‘ils arrivent à l’université : faire des études en français dans des universités francophones ou passer à l’anglais. Le premier choix leur paraissant souvent trop intimidant, ils optent généralement pour le deuxième.

Plus tard, dans son Rapport publié en 2009, intitulé : « Deux langues, tout un monde de possibilités : l’apprentissage en langue seconde dans les universités canadiennes », le Commissaire aux langues officielles constatait :

« Nous en savons beaucoup sur l’apprentissage en langue seconde aux niveaux primaire et secondaire au Canada, mais nous avons moins de connaissances en ce qui concerne l’apprentissage en langue seconde au niveau universitaire – l’étendue des possibilités actuelles, les principaux enjeux et les défis de même que les mesures qui sont efficaces. (…) Il y a plus de 40 ans, la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme avait souligné, dans son rapport, l’importance de l’apprentissage de la langue seconde pour le Canada et les Canadiens. (…) 
Le temps est venu pour le Canada de veiller à ce qu’un véritable continuum de possibilités d’apprentissage en langue seconde soit mis à la disposition de tous les Canadiens de l’école primaire jusqu’au marché du travail en tant qu’élément essentiel pour relever le défi qu’est la préparation des jeunes pour l’avenir. (p. 3)

L’Université d’Ottawa, institution bilingue, a été la première au Canada à proposer une troisième voie : l’immersion au niveau universitaire. Ce régime unique permet aux étudiants d’immersion arrivant du secondaire de poursuivre des études universitaires en français avec des étudiants francophones de langue maternelle tout en bénéficiant d’un soutien linguistique sur mesure qui leur est exclusivement réservé.

D’autres universités canadiennes ont suivi le mouvement et ont investi dans l’élaboration de programmes d’immersion mais présentant des conceptions, démarches impliquant des modèles différents conçus en regard des enjeux locaux et des moyens mis à disposition au niveau des provinces ou des villes.

2. Un projet de recherche sur l’immersion universitaire en français : un état des lieux nécessaire

Au Canada de nombreux chercheurs ont évalué les différentes facettes de l’immersion au primaire et au secondaire (SWAIN, 1975,1985, 1993; LAPKIN, SWAIN et ARGUE, 1983; GENESEE, 1987; HARLEY, CUMMINS, SWAIN et ALLEN, 1990, REBUFFOT, 1993; JOHNSON et SWAIN, 1997; LYSTER, 2007, 2008). Malgré l’expertise canadienne dans ce domaine, les recherches au niveau universitaire restent plutôt marginales comme le fait remarquer le Commissaire aux langues officielles, 2009. Au Canada, les études sur l’immersion universitaire sont limitées à une courte expérience menée par des professeurs/chercheurs de l’Institut des langues secondes de l’université d’Ottawa dans les années 1980.

Les recherches se sont arrêtées avec l’interruption du programme en raison du manque d’inscriptions dans les cours et de la détérioration de la situation économique. Le plan stratégique Vision 2010 de l’Université d’Ottawa, faisant du bilinguisme une de ses priorités, a abouti à la création de l’Institut des langues officielles et du bilinguisme (ILOB) et du Régime d’immersion en français.

Les recherches dans le domaine de l’immersion en français au niveau universitaire ont alors repris (BURGER, WEINBERG, HALL, MOVASSAT et HOPE, 2011; KNOERR, 2010; WEINBERG, BURGER et HOPE, 2008; WEINBERG et BURGER, 2010; WEINBERG, KNOERR et VANDERGRIFT, 2011; WEINBERG, BOUKACEM et BURGER, 2012). L’Université a également mené deux évaluations de programme pour s’assurer que le Régime correspondait bien à son mandat. Ces deux études quantitatives et qualitatives portaient essentiellement sur les perceptions et le niveau de satisfaction des étudiants dans les cours d’encadrement linguistique (CEL) ainsi que l’utilité des activités linguistiques qui y étaient proposées. Les résultats obtenus montraient l’importance de l’enseignement du vocabulaire et des activités d’expression orale. Par ailleurs, WEINBERG et al.(2012) ont également révélé les faiblesses des étudiants du Régime en expression écrite. Toutes ces études ont eu des retombées pédagogiques concrètes, suggérant des adaptations nécessaires du modèle.

Plus récemment, un Forum organisé par l’ILOB en février 2012 et intitulé Immersion au niveau universitaire : modèles, défis et perspectives (à par.), avait rassemblé des chercheurs canadiens et étrangers pour faire un état des lieux. Le Forum a suscité la création d’une équipe de recherche interuniversitaire et internationale coordonnée par les professeures Hélène Knoerr et Alysse Weinberg, de l’ILOB et la conférencière invitée, la professeure Aline Gohard-Radenkovic de l’Université de Fribourg, Suisse2. Cette équipe a initié le projet PPIF – Politiques et pédagogies de l’immersion en français - dans le but d’élaborer une « pédagogie de l’immersion » en français au niveau universitaire. Mais avant de mettre en oeuvre cette pédagogie, il est essentiel de faire un état des lieux des différents dispositifs à travers une mise en perspective du régime d’immersion pionnier à l’Université d’Ottawa avec les modèles proposés par les autres universités canadiennes, présentés lors du Forum, soit Simon Fraser University à Vancouver, le Campus St-Jean d‘Alberta University, du Campus Glendon de York University, et avec ceux d’autres universités d’Outre-Atlantique.

Dans le contexte de ces recherches et des conclusions du Forum, le projet a pour objectif de contribuer à une meilleure compréhension de l’expérience en immersion au niveau universitaire au Canada et plus spécifiquement à l’université d’Ottawa. Les objectifs de cette recherche sont de trois ordres :

  1. Faire un état des lieux des politiques linguistiques et des aménagements au niveau gouvernemental canadien. 
  2. Recenser les modèles existants d’immersion en français au niveau post-secondaire dans les universités canadiennes. 
  3. Recueillir les points de vue des divers acteurs de l’immersion, soit les étudiants, les professeurs de langue, les professeurs de discipline, et les administrateurs. 

Conclusion.
Au-delà de l’état des lieux…

La finalité de ce projet est double :

Ce projet permettra de proposer des recommandations pour faciliter la pérennité du Régime et servir de cadre de référence pour d’autres institutions au Canada et dans le monde.


Bibliographie

Ouvrages

BURGER, S., WEINBERG, A., HALL, C., MOVASSAT, P. & HOPE, A., « French immersion studies at the University of Ottawa : Programe evaluation and pedagogical challenges », in FORTUNE, T., TEDICK, D., & CHRISTIAN, D., (dir.), Immersion education : Pathways to bilingualism and beyond, Multilingual Matters, 2011, p. 123-142.

GENESEE, F., Learning through two languages : Studies of immersion and bilingual education, Cambridge, MA, Newbury House, 1987.

HARLEY, B., CUMMINS, J., SWAIN, M., & ALLEN, P., « The nature of language proficiency », in HARLEY, B., ALLEN, P., CUMMINS, J., & SWAIN, M., (dir.), The development of second-language proficiency, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 7–25.

JOHNSON, R.K., & SWAIN, M., Immersion education : International perspectives, Cambridge, Cambridge University Press, 1997.

KNOERR, H., et WEINBERG, A., Après le Forum sur l’immersion au niveau universitaire, Cahiers ILOB /OLBI n°6, Presses universitaires d’Ottawa, Canada, (à par.)

KNOERR, H., et WEINBERG, A., « L’immersion à l’université d’Ottawa: une innovation héritée du passé », Cahiers de l’Acedle, ouvrage thématique publié aux Presses universitaires de Rennes, France, (sous presse).

KNOERR, H., et WEINBERG, A., « Cinq ans après : Bilans du Régime d’immersion en français à l’Université d’Ottawa », Numéro thématique des Dossiers des Sciences de l’Éducation, Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, France, (soumis).

KNOERR, H., « L’immersion au niveau universitaire : nouveaux modèles, nouveaux défis, nouvelles stratégies », Cahiers de l’ILOB/ OLBI Working Papers, vol.1 n°1, Presses de l’Université d’Ottawa, 2010.

KNOERR, H., « Activités pour les cours d’immersion », dans DANSEREAU, M.-C., & BUCHANAN, C. E., (réed.), Recueil d’activités, compréhension écrite et orale d’un cours de discipline suivi en français langue seconde, (37 - 46), Ottawa, ON : ILOB, Université d’Ottawa, 2009.

LAMBERT, W. E., & TUCKER, G. R., Bilingual education of children: The St-Lambert experiment, Rowley, MA: Newbury House, 1972.

LAPKIN, S., SWAIN, M., & ARGUE, V., French immersion : The trial balloon that flew, Toronto, Ontario Institute for Studies in Education, 1983.

LYSTER, R., « Evolving perspectives on learning French as a second language through immersion », in AYOUN, Dalila (Dir.), Studies in French Applied Linguistics , Philadelphia, PA : John Benjamins, 2008, p. 3-36.

LYSTER, R., Learning and Teaching Languages through Content. A Counterbalanced Approach, Amsterdam : John Benjamins, 2007.

REBUFFOT, J., Le point sur l’immersion au Canada, Montréal, CEC, 1993.

SWAIN, M., Writing skills of grade three French immersion pupils, Working Papers on Bilingualism, no. 7, 1975, p. 1–38.

SWAIN, M., « Communicative competence : Some roles of comprehensible input and comprehensible output in its development », dans GASS, Susan, MADDEN, Carolyn, (dir.), Input in second language acquisition, Rowley, MA, Newbury House, 1985, p. 235–253.

SWAIN, M., « The output hypothesis: Just speaking and writing aren’t enough », dans Canadian Modern Language Review, vol. 50, no1, 1993, p. 158–164.

WEINBERG, A., BOUKACEM, D., et BURGER, S., Progrès lexicaux d’étudiants dans deux contextes d’immersion au niveau universitaire, La Revue canadienne des langues vivantes, 68, 2012, 1 : 1-27.

WEINBERG, A., KNOERR, H., et VANDERGRIFT, L., « Creating Podcasts for Academic Listening in French: Student Perceptions of Enjoyment and Usefulness », CALICO Journal, vol.28 n°3, 2011, p. 588-605.

WEINBERG, A., & BURGER, S., « University level immersion Students’ perception of language Activities », Les cahiers de l’ILOB, vol. 1, n°1, 2010, p. 111-142.

Documents consultés 

Livre II : L’éducation, Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (Commission Laurendeau-Dunton), Ottawa, Canada, 1965.

« Deux langues, tout un monde de possibilités : l’apprentissage en langue seconde dans les universités canadiennes », Rapport de la Commission des langues officielles, Ottawa, Canada, 2009.