Un changement important de perspective s’opère à partir du milieu du XIXe siècle dans la relation de la France à l’enseignement du français à des publics qui ne parlent pas nativement le français, en particulier hors de France. D’une situation de demande de français suscitée moins par les institutions royales que par le rayonnement culturel de la France auprès d'une relativement étroite élite européenne, on va progressivement passer à une politique de l’offre ouverte à des publics, socialement et géographiquement, plus diversifiés. La constitution d’un empire colonial, la mise en place progressive, après 1870, d’une « diplomatie culturelle » pour reprendre l’expression de l’historien François Chaubet, la volonté de développer une politique d’influence dans les pays du Levant, font naître de nouveaux besoins en matière de formation des maîtres.
Jusqu’alors, faut-il le rappeler, l’enseignement du français qu'on ne disait pas encore « langue étrangère » était le fait de nourrices, de gouvernantes, de précepteurs ou de maîtres de langue natifs (ou supposés tels) de cette langue. Leurs origines et leurs statuts étaient des plus variés, depuis le précepteur du prince jusqu’au malheureux maître courant après élèves et leçons, et leurs formations étaient des plus disparates, au gré d’itinéraires professionnels aux trajectoires incertaines.
Dans le grand mouvement missionnaire qui parcourt tout le XIXe siècle se créent de nombreux réseaux (Société des missions étrangères de Paris, Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, Frères de Ploërmel, Congrégation de Notre-Dame de Sion, Sociétés de missions de Lyon, Frères maristes, Société des missions évangéliques de Paris, pour n’en citer ici que quelques-uns). Missions qui seront placées dans ce double engagement, évangéliser et enseigner, et qui vont essaimer dans différentes parties du monde, pays du Levant, Asie, Afrique, Amérique latine. Evangéliser dans des langues non européennes implique leur apprentissage par les missionnaires francophones, ou bien l'enseignement du français à des catéchistes qui, devenus plus ou moins bilingues, étaient à même de leur servir de truchement. Ces missions participeront donc, pour un certain nombre d’entre elles, à la mise en place de cette offre de français organisée par des maîtres dont les modalités de formation pour l’enseignement restent mal connues. Est-on en présence d’une formation sur le tas, au contact des plus anciens présents dans les établissements scolaires ou bien une formation est-elle déjà organisée dans des établissements ou des sections spécifiques ?
Dans la seconde partie du XIXe siècle, trois initiatives, d'origine privée mais très vite soutenues par l'Etat, vont modifier de façon significative le paysage de la diffusion de la langue française hors de France et d’Europe : l’Alliance israélite universelle créée en 1860, l’Alliance française en 1883 et la Mission laïque française en 1902. Le ministère français des Colonies va appuyer un certain nombre de ces actions et le ministère français des Affaires étrangères ouvre en 1911 un bureau des Écoles et des Œuvres françaises à l’étranger.
La formation des maîtres ainsi appelés à enseigner le français hors d’Europe, va tendre à s’organiser et à progressivement s’institutionnaliser. L’importance de l’enjeu dans le cadre d’une politique d’influence culturelle apparaît de façon plus évidente aux yeux des différents acteurs.
Sont déjà repérées un certain nombre d’institutions de formation :
À côté de ces dispositifs, on notera encore la création de revues pédagogiques destinées à apporter la bonne parole auprès des personnels exerçant à l’étranger. Par exemple :
le Bulletin de l’Alliance israélite universelle (1863)
le Bulletin de l’Alliance française (1884)
la Revue de l’enseignement colonial (1901)
D’autres pays de langue française, on peut ici penser à la Belgique, soucieux de promouvoir l’extension de la langue et de la culture françaises, amorceront dès le début du XXe siècle des politiques de diffusion et d’enseignement du français par le moyen de dispositifs et de maîtres dont la formation demande aussi à être mieux connue.
Le cadre chronologique retenu correspond en gros à la période de plus grande extension des territoires ou régions placés sous l’autorité ou l’influence des puissances européennes avant que ne s’opèrent les grands remaniements nés des indépendances et de la réorganisation de la carte diplomatique du monde.
La SIHFLES a déjà abordé ces questions en différents moments (voir ainsi le n° 20 de Documents, L’apport des centres de français langue étrangère à la didactique des langues, de même dans le n° 44, De l’école de préparation des professeurs de français à l’étranger, à l’UFR de DFLE. Histoire d’une institution (1920-2008), mais sans forcément aborder cette problématique dans une perspective d’ensemble, pour comparer notamment les époques et les choix opérés selon les institutions concernées.
L’objectif de cette rencontre sera d’examiner les conditions politiques et institutionnelles de la création de ces différentes instances de formation (initiale et continue), d’en présenter les principaux acteurs, d’examiner les fondements linguistiques et grammaticaux des démarches d’enseignement proposées, les modalités de réalisation concrète de cette formation, ainsi que l’idéal de formation professionnelle associé, en particulier quant à la connaissance ou à l'apprentissage préalables des langues parlées par les élèves. On pourra étudier les liens possibles qui peuvent unir la formation destinée aux publics d’enseignants appelés à enseigner en France (dont nombre de ressortissants ne parlaient pas nativement la « langue nationale ») à celle dispensée à celles et ceux qui exerceront à l’étranger. On pourra aborder les distinctions qui peuvent prévaloir dans la formation entre réseaux missionnaires et réseaux laïques.
Les propositions de communication sont à adresser à Gérard Vigner, g.vigner@noos.fr, à Gisèle Kahn, gisele.kahn@gmail.com, ou à Henri Besse, hebesse@laposte.net, avant le 30 mars 2014. Elles comprendront le titre, le nom et qualité de leurs auteurs, ainsi qu’un résumé de 1 000 signes maximum. Ces propositions seront évaluées par le comité scientifique et réponse sera donnée aux auteurs avant le 15 juin 2014.
Après double lecture anonymisée par les membres du comité scientifique, les communications sélectionnées seront publiées dans la revue « Documents pour l’histoire du français langue étrangère et seconde ».
Date : 27 et 28 novembre 2014
Lieu : Alliance française, 101 boulevard Raspail, Paris 6e
Résumé des communications retenues : 201411_Resumes_colloque_formation_d_maitres.pdf