ACCUEIL ET FORMATION DES ENFANTS ÉTRANGERS EN FRANCE,
DE LA FIN DU XIXe SIÈCLE AU DÉBUT DE LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE


Journée d'étude

ACCUEIL ET FORMATION DES ENFANTS ÉTRANGERS EN FRANCE, DE LA FIN DU XIXe SIÈCLE AU DÉBUT DE LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE

7 mai 2010

 

Cité nationale de l’histoire de l’immigration

Palais de la Porte Dorée
293, avenue Daumesnil
PARIS (12e)

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Résumé des communications

La politique éducative de la Troisième République et les enfants d’immigrants belges dans le département du Nord

Walter Kusters

Le mouvement migratoire des Belges, principalement des Flamands, en France s’étend sur un siècle environ, de 1815 au lendemain de la guerre de 1914, et culmine au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle. Les facteurs combinés des crises agricole, industrielle et dans le secteur du lin en Flandre d’une part, et le sommet de l’industrialisation dans le Nord de la France d’autre part, provoquent un ‘exode’ vers les villes industrielles de Lille, Tourcoing et Roubaix, près de la frontière avec la Belgique. Dans un tel contexte, où cette ‘communauté’ de migrants belges – déracinée de leur pays, de leur culture et de leurs mode d’expression – établit des relations hétérogènes avec la culture française, la question se pose dans quelle mesure une nouvelle identité que l’on pourrait qualifier d’interculturelle est engendrée. C’est avant tout dans le domaine éducatif, et particulièrement dans l’école primaire, que le thème de l’acculturation joue un rôle fondamental et que les questions reliées à l’assimilation et à ‘la formation des citoyens’ sont pertinentes. En fait, la dimension de l’assimilation se cristallise surtout au début de la Troisième République, particulièrement à partir des années 1880, avec les lois de Jules Ferry, soumettant tous les enfants français et tous les enfants d’immigrants (belges) à la fois à l’obligation scolaire et les valeurs républicaines. D’ailleurs, ce n’est qu’avec la Troisième République que le mot « immigration » (et ces dérivés : « immigré », « immigrant ») commence à faire partie du lexique commun et qu’il entre dans le débat publique. En tous cas, le défi est de comprendre comment et jusqu’à quelle mesure, les enfants, i.e. les immigrants belges de la deuxième génération, intériorisent les attitudes des adultes et assimilent les normes instruites à l’école. Comme a démontré Gérard Noiriel, il importe de distinguer entre les points de repère et la conceptualisation du « chez-soi » pour la première génération d’une part et ceux de la deuxième génération d’autre, étant donné que pour la deuxième génération – pour les enfants d’immigrants belges – « chez-soi » est en France. Cela invoque immédiatement l’ambiguïté de la transmission des normes parentales et l’importance de la langue. Vu qu’on estime qu’en 1880 la moitié des enfants en France apprenait encore le français à l’école, comme ’une langue étrangère’, ce n’est en effet pas un problème uniquement réservé aux enfants d’immigrants, mais il apparaît toutefois que c’est principalement par la langue, et notamment grâce à l’école publique, laïque et obligatoire, que l’intégration culturelle des enfants belges dans le département du Nord s’est fortement développée.


L’exception polonaise

Janine Ponty

L’expression ci-dessus traduit le point de vue français. Car pour les Polonais, il est parfaitement normal de fournir aux enfants d’émigrés un enseignement dans leur langue nationale. J’emploie à dessein le terme d’émigré qui est le leur, non pas encore celui d’immigré qui est celui du pays d’accueil.

Déjà des membres de la « Grande Émigration », consécutive à l’insurrection varsovienne de 1830-31, ouvrirent à Paris l’École des Batignolles pour instruire en polonais les fils de bonne famille. Aux États-Unis, au Canada, au Brésil même, les colonies polonaises avaient leurs écoles à la fin du XIXe siècle.

Là où la question devint plus problématique, ce fut lorsque les ouvriers recrutés sur contrat pour travailler dans les mines françaises à partir de 1919 demandèrent et obtinrent qu’une dérogation fût apportée aux lois de Jules Ferry. Il fallut l’intercession du secrétaire général du Comité central des Houillères de France, Henri de Peyerimhoff pour trouver une solution. Les Polonais sont donc à l’origine des arrêtés ministériels de 1925 et de 1929 qui créèrent la possibilité d’embaucher des « moniteurs scolaires étrangers » à l’intention des enfants d’immigrés.

La deuxième exception polonaise consiste en l’usage qui fut fait de cette ouverture. Beaucoup plus que chez les immigrés italiens, plus même que pour les ressortissants tchécoslovaques dix fois moins nombreux que les Polonais, l’on vit s’ouvrir des cours à l’intérieur de l’horaire hebdomadaire dans les écoles privées des Houillères, en dehors des trente heures obligatoires à la communale (soit le soir, soit le jeudi). Ces leçons de langue, de grammaire polonaises, d’histoire de la Pologne et d’éléments de littérature, d’une importance variable en fonction de la disponibilité des moniteurs ou des monitrices, ont perduré jusqu’aux années 1960-70. Ont-elles gêné l’apprentissage du français et l’acculturation de la deuxième génération ? Certes pas.

Se pose donc la question suivante : pourquoi estime-t-on aujourd’hui qu’un tel enseignement dans les langues africaines ou asiatiques serait néfaste pour les enfants concernés et retarderait leur intégration ? Le problème doit être mal posé et la réponse se trouver ailleurs, dans la crise des valeurs que l’école républicaine ne sait plus transmettre.


De l’école au lycée : la scolarisation des enfants tchèques et slovaques en France dans l’entre-deux-guerres

Jean-Philippe Namont

Depuis les débuts de l’immigration tchèque et slovaque en France, dès les années 1860 et surtout après la convention de 1920, les enfants qui accompagnent leurs parents y sont scolarisés. Peu nombreux (moins de 10 000 au milieu des années 1930), dispersés sur tout le territoire national, ils ne font pas l’objet d’un accueil spécifique la part de l’institution scolaire française, du moins en ce qui concerne le primaire. Pourtant, leur cas mérite notre attention. Ils offrent d’abord l’exemple d’enfants de culture étrangère, nés en Tchécoslovaquie ou en France de parents tchécoslovaques, accueillis dans des écoles où l’acculturation est rapide et évidente, mais qui ne permettent pas une réelle promotion sociale. Ensuite certaines de ces écoles, dans les académies où l’immigration tchécoslovaque est la plus importante, accueillent dans les années 1930 en leur sein des « classes complémentaires » tchécoslovaques, c’est-à-dire des cours de langue et de civilisation « tchécoslovaque » dispensés par un moniteur venu du pays. Enfin, certains lycées français développent un accueil spécifique d’élèves tchécoslovaques en ouvrant des sections tchécoslovaques; mais celles-ci ne s’adressent pas aux enfants d’immigrants, car elles reçoivent des boursiers venus faire des études secondaires en France.


Élèves étrangères, élèves étrangers à Valence (Drôme) dans l’entre-deux-guerres : des parcours scolaires et familiaux (enfants arméniens)

Jean-Sébastien Gautier

Lancés sur les routes de l’exil, suite au génocide de 1915 perpétré par le gouvernement Jeune-Turc, les réfugiés arméniens sont à la recherche d’un territoire susceptible les accueillir. Après un exode qui a duré plusieurs années, et qui les a conduits dans les pays de la péninsule balkanique et dans tout le Proche-Orient, certains font le choix de la France. C’est en 1922 ou 1923 (selon les sources) que les premiers réfugiés débarquent à Valence. D’autres leur emboîtent le pas les années suivantes.

Ma contribution tentera de mettre en évidence la manière dont les écoles valentinoises ont accueilli les réfugiés ainsi que les parcours qu’ils y ont effectués. Cette présentation s’inscrit dans le cadre d’une réflexion plus large menée sur les parcours scolaires accomplis par les élèves étrangers en vue de leur intégration à la société locale. Jusqu’à présent, aucune recherche n’a porté sur l’étude des parcours scolaires des enfants d’origine arménienne. Leurs parcours au sein des écoles valentinoises, ainsi que ceux des élèves d’autres nationalités dépendent à la fois de l’engagement des individus et de leur famille en matière d’instruction mais également de l’action des enseignant-e-s sur le terrain scolaire.

Après une présentation de mes sources, je tenterai d’en montrer l’utilisation dans le cadre de ma recherche, avant d’évoquer, au travers de quelques exemples précis, les parcours scolaires accomplis par certains de ces premiers réfugiés.


L'accueil des enfants espagnols en France pendant la guerre d'Espagne et après la victoire franquiste

Geneviève Dreyfus-Armand

Cet accueil revêt des caractéristiques différentes selon l’une des deux périodes évoquées. Pendant la guerre d’Espagne, l’évacuation des enfants habitant dans des régions soumises à des bombardements (Madrid) ou conquises par les rebelles franquistes (Pays basque) est organisée par le gouvernement républicain espagnol ou les autorités régionales avec l’appui des pouvoirs publics français ; cet accueil est généralement temporaire, suivi de rapatriements vers l’une des deux zones de la Péninsule. Avec l’exode massif des républicains espagnols du début de l’année 1939, la Retirada, l’accueil des enfants se pose en des termes différents : parfois placés avec leurs mères dans les camps d’internement du Midi, ouverts par des autorités françaises à la fois méfiantes et dépassées par les événements, ils sont le plus souvent évacués avec les femmes vers de très nombreux départements. Le désordre immense de l’exode et la dispersion forcée des réfugiés ont entraîné la séparation, parfois prolongée, des familles. Des femmes sont restées longtemps sans nouvelles de leurs enfants ou de leur conjoint. Et, à l’improvisation des camps pour les hommes répondait celle des centres d’hébergement pour les femmes, les enfants et les vieillards. Les modalités d'accueil étaient très diverses. Tous les locaux disponibles étaient utilisés, qu’ils fussent adaptés ou non à recevoir des personnes. Les enfants étaient généralement intégrés – au moins provisoirement – dans des écoles publiques ou dues à l’initiative d’organismes de secours aux réfugiés.


Accueil des enfants juifs étrangers en France et leur sort sous l'Occupation

Sabine Zeitoun

Au cours des années Trente, par vagues successives, des dizaines de milliers de Juifs fuyant l’Allemagne, l’Autriche, la Pologne et la Tchécoslovaquie viennent se réfugier en France. Parmi eux, il y a de nombreux enfants dont certains arrivent seuls. Un organisme créé en 1938, le Comité israélite pour les enfants venant d’Allemagne et d’Europe Centrale, va les prendre en charge. Il intervient par le biais de l’Œuvre de secours aux enfants (OSE), une organisation juive médico-sociale, riche d’une solide expérience. Pour secourir les nouveaux venus, elle ouvre plusieurs établissements dotés d’un personnel éducatif formé au travail social et originaire lui aussi d’Europe centrale, tout comme ses pensionnaires. Cette action est menée sous la conduite du pédagogue autrichien Ernst Papanek dont les principes s’articulent autour de trois axes fondamentaux : déculpabiliser les enfants par rapport à leur situation de réfugiés, revaloriser leur identité juive, développer leur esprit combatif afin de faciliter leur intégration.

Mais pour beaucoup de Juifs venus en France pour échapper aux persécutions, le répit est bref. À la déclaration de guerre, en septembre 1939, Allemands et Autrichiens, considérés comme « ressortissants ennemis », sont enfermés dans des camps insalubres, avec leurs enfants. Dans ces mêmes camps du sud de la France, Vichy fait interner à partir de l’automne 1940 des milliers de familles juives étrangères. Dans les deux zones, les autres Juifs sont exclus de la vie économique et mis au ban de la société par les lois françaises et les mesures allemandes. En 1941, en zone occupée, plusieurs milliers d’hommes sont arrêtés. Restées sans ressources, de nombreuses familles ne survivent que grâce à l’aide d’œuvres caritatives juives et non juives : centres médico-sociaux, aide juridique, cantines populaires, vestiaire, patronages pour les enfants, etc.

Les rafles de l’été 1942 marquent un tournant décisif dans le processus de la « solution finale » en France car les arrestations et les déportations n’épargnent désormais plus les femmes et les enfants. Des œuvres, dont principalement l’OSE, s’efforcent de venir en aide à ces derniers, notamment, en les faisant sortir des camps d’internement. Issus pour la plupart de familles étrangères, ils sont regroupés dans des maisons qui avaient été ouvertes dès 1940 dans le Sud de la France. Ils y reçoivent une instruction scolaire de même que, pour certains, une éducation religieuse. Les activités y sont nombreuses et variées. Le personnel éducatif, lui-même d’origine étrangère, est à même de comprendre la spécificité culturelle et linguistique de ces enfants ou adolescents.

Ces maisons, qui ne sont pas à l’abri des rafles, deviennent aussi rapidement des lieux où l’on prépare les enfants à la vie clandestine. Avant de les confier à des filières qui les cacheront chez des non-Juifs (familles d’accueil et institutions religieuses ou laïques) ou les feront passer en Suisse, on leur assigne une fausse identité. À cette occasion, on improvise des méthodes pour que les plus jeunes assimilent au mieux leur nouvelle identité et renonce provisoirement à toute référence à leur passé. Ces enfants étant en danger de mort, l’enjeu alors n’est plus leur intégration mais leur survie.