Français langue étrangère et français langue seconde en France et à l’étranger

Table ronde 4

La promotion du français à l’étranger :
priorités et mise en œuvre


Modérateur : Jacques Pécheur, Délégation générale à la langue française et aux langues de France,
ministère de la Culture et de la communication


Texte de présentation de Mme Michèle SELLIER,
Sous-directrice du français

Le statut du français change depuis un siècle. Et il faut, à la fois, savoir adapter ce statut et le préserver. Le français n'est plus l'unique langue universelle qui fut, jusqu'au début du XXème siècle, celle de toutes les élites, de la diplomatie et des relations internationales. Pris entre la pression du discours sur la mondialisation et les réactions de repli identitaire qu'elle provoque, il doit s'imposer et être reconnu, non comme une grande langue "régionale" (à l'instar de l'arabe ou du chinois, voire de l'espagnol) mais comme une langue d'influence mondiale dont le nombre d’apprenants progresse régulièrement.

1 - Il faut bien apprécier les atouts de notre langue.

Le français est réellement présent sur les cinq continents, du nord au sud. Son appropriation par un grand nombre de pays est politiquement essentielle : "prise de guerre" en Algérie (selon l’expression de Khateb Yacine) ou langue maternelle, élément de modernité et facteur de "distinction" dans un monde menacé d'uniformité...

Il faut souligner que, dans les pays où le français jouit d’une position particulière, il doit partout coexister avec d'autres langues. Le français est donc naturellement "confronté" au pluralisme linguistique et au dialogue des cultures, reflet d'éventuels conflits d'autres natures. Cette dimension doit être désormais pleinement intégrée à notre réflexion et à notre action.

Le français bénéficie du rayonnement de la culture française : qualité de la création classique et contemporaine, richesse de la vie culturelle, attraction qu'exercent à l'étranger la langue française et la France (75 millions de visiteurs par an). Notre langue reste perçue comme un véhicule de valeurs universelles, qu'expriment toujours les mots "Liberté - Egalité - Fraternité". Le français demeure, également, apte à la transmission des savoirs complexes, que ce soit dans les sciences sociales ou humaines, toutes plus ou moins des sciences du langage, que dans les autres disciplines scientifiques, dites sciences dures. "La bataille des idées" peut et doit se faire en français, ce qui n'exclut pas qu'elle fasse l'objet de traduction rapide afin de toucher le plus grand nombre.

Le français conserve le statut de langue internationale reconnue, en Europe et dans le monde, au sein des institutions communautaires et des organisations internationales. L'avenir du français se décide essentiellement dans le cadre de la construction européenne, au moment de son élargissement. L'Union européenne a fait du respect de la diversité des langues et des cultures un facteur de son identité. C'est, dans ce cadre, à travers la mise en œuvre de stratégie d'alliances avec d'autres langues, en particulier l'allemand, que le français a un bel avenir. L’arrivée massive, à compter de 2004, de près de 6000 fonctionnaires en provenance de nouveaux pays-membres est un rendez-vous qu’il convient de ne pas manquer. Nous nous y préparons à travers une série de mesures nouvelles.

Le français s’appuie sur un important dispositif dans le monde, mobilisé pour sa promotion. Il s'agit du réseau des établissements scolaires français à l'étranger, des classes bilingues, des départements d'université et des filières universitaires francophones, des Alliances françaises, des centres et des instituts. Ce dispositif comporte également des outils indispensables à la communication des idées : le livre, les télévisions, les radios, la toile, les revues sans parler des produits multimédias toujours plus nombreux en français. Il offre, outre les diplômes universitaires, un ensemble de certifications et de tests qui permettent de valider les compétences acquises en français. Ce dispositif s'appuie aussi sur des échanges d'assistants, des échanges universitaires et un réseau de boursiers. Il continue de bénéficier de moyens importants en personnels et crédits que la France consacre à la promotion de sa langue, y compris à travers l’action croissante des collectivités territoriales. A ces moyens s’ajoutent ceux mis en œuvre par les institutions de la Francophonie.

2 - Notre politique privilégie certaines zones géographiques et cible certains publics.

Ü L'Union européenne et l'ensemble des Etats de l'Europe de demain

Nous agissons prioritairement dans le cadre d'actions multilatérales (au sein des institutions communautaires et de la Francophonie), de dispositifs bilatéraux et de politiques d'alliances, en nous fixant les objectifs suivants :

- la généralisation de la seconde langue vivante obligatoire dans tous les systèmes éducatifs européens (selon la résolution du conseil des ministres de l'Union européenne du 31 Mars 1995, réaffirmée à l'occasion de l'Année européenne des Langues par le ministre de l'Education nationale, qui insiste sur l'importance d'un apprentissage précoce). L’élargissement de l’offre linguistique doit faire l’objet d’un suivi attentif aux données du contexte local et aux orientations de la politique éducative en matière d’enseignement des langues vivantes ;

- le développement des classes bilingues qui, depuis plus de 20 ans, contribuent à la formation des élites dans les pays d’Europe centrale et orientale, et dans des pays comme l'Allemagne, l'Espagne ou l’Italie;

- le soutien à l'utilisation de la langue française dans le cadre de l'intégration européenne, ce qui implique des actions ciblées en direction des fonctionnaires, des interprètes et traducteurs et des journalistes. Cette politique passe également par des alliances stratégiques avec une ou deux autres langues de l'Union, en particulier l'allemand, voire l'espagnol ou l'italien.

Ü L'Afrique sub-saharienne

Le français y bénéficie encore d'une place privilégiée. Mais il doit cependant faire l'objet d'efforts particuliers, tant en direction des élites que des systèmes éducatifs eux-mêmes, aujourd’hui en grande difficulté.

Des Etats généraux du français en Afrique francophone auront lieu en 2002 à l'initiative de la FIPF et des associations africaines de professeurs de français, avec le soutien du MAE et de l'AIF. Ce sera l’occasion d’y promouvoir une réflexion novatrice, tenant compte du bilan que l’on peut tirer des quarante dernières années de coopération dans le domaine éducatif et ouverte sur de nouvelles formes de partenariats linguistiques et pédagogiques. Dès maintenant, on peut préconiser des actions audiovisuelles tant éducatives que de divertissement afin de diffuser aussi largement que possible la langue française.

Ü Le pourtour de la Méditerranée

Le français y demeure souvent, avec l'arabe et l'anglais, la langue des classes moyennes et moyennes supérieures. Il convient de privilégier ces publics en développant le réseau d'établissements scolaires et de classes bilingues et en menant une politique vigoureuse de présence audiovisuelle.

Ü Les grands pays émergents (de la Chine au Brésil)

Nos politiques doivent y cibler des publics spécialisés, selon les situations : publics universitaires, en général, cadres des entreprises en Asie, administration en Amérique latine. Il s'agit de toucher par priorité les élites, grâce à notre réseau.

Ü Les Etats-Unis

Le français y revêt une importance stratégique et symbolique, qui nécessite une coopération culturelle et universitaire de haut niveau. Cette coopération requiert aussi un partenariat accru avec les autorités éducatives d’Etats désireuses d'introduire le plurilinguisme dans l’enseignement (New Jersey, Floride, Kentucky et Connecticut) et, par tradition, en Louisiane.

3 - La politique de promotion du français bénéficie d’un ensemble de moyens visant à assurer, à la fois, la pérennité de notre présence et une adaptation pragmatique à des situations nouvelles. Ces moyens consistent en ressources humaines et matérielles.

Ü Le réseau des agents

Il se compose d’agents déployés dans les postes diplomatiques auxquels s’ajoutent des assistants techniques auprès d’institutions étrangères, des lecteurs dans les universités et des jeunes volontaires. L'évolution des missions de nos personnels (700 environ) a connu de profondes transformations. Ils sont passés d'une logique de substitution pédagogique à une approche beaucoup plus stratégique, de conduite de projets qui mobilisent une part significative de crédits géographiques de la coopération culturelle. Aussi leur faut-il se montrer de plus en plus polyvalents, en gardant néanmoins des compétences spécifiques. Ils interviennent dans le domaine de la formation des enseignants, de la promotion des certifications et des tests, du développement des programmes multimédias, du renforcement des partenariats avec les responsables politiques, éducatifs et universitaires locaux, les associations de professeurs, les Alliances françaises, les organisations multilatérales. Ils sont de plus en plus conduits à élargir le partenariat vers les autres acteurs de la société civile.

Ü Le réseau d’établissements

La France a la chance de disposer d’un réseau de lycées, d'instituts et d'alliances, lieux privilégiés d'apprentissage du français. Le réseau de l'AEFE est appelé à évoluer et à se rapprocher tant du ministère français de l'Education nationale que des autorités éducatives étrangères. Dès 2002, trois établissements de l'AEFE seront transformés en établissements bilingues dans le cadre des systèmes locaux. En outre, des établissements de l'AEFE sont invités à renforcer leur participation aux programmes locaux de coopération linguistique et éducative. La complémentarité du réseau de la Mission laïque française avec celui de l'AEFE s’est systématiquement renforcée.

Les cours de français tiennent toujours une place importante dans les établissements culturels et les Alliances françaises. Il convient de veiller à la qualité de ces cours, qui sont une vitrine de nos savoir-faire. Du coté des établissements, leur importance ne rend pas toujours compte de la vitalité de la langue dans un pays donné. Le développement du français demeure prioritaire dans les universités et les systèmes éducatifs étrangers. C’est pourquoi l’offre de cours dans les établissements culturels vient en appui de la politique de coopération en faveur de la langue française menée dans un pays donné.

Ü Les moyens de création et de diffusion multimédias

Les télévisions, les radios, Internet, les revues et journaux, sans oublier le livre, sont utilisés au bénéfice de l'apprentissage de la langue, de l'environnement francophone et, d’une façon plus générale, du débat d'idées à entretenir, en sachant qu'il faut recourir aux traductions, titrages et sous-titrages dés que c’est nécessaire.

4 - La réussite d'une politique en faveur du français nécessite une mobilisation accrue.

Outre les atouts dont dispose notre langue et les moyens que la France y consacre, la politique en faveur du français doit pouvoir s’appuyer sur une mobilisation qui pourrait prendre trois formes particulières :

Ü Renouveler l’image du français

La promotion du français suppose une action orientée vers le renouvellement de l'image de notre langue, trop souvent marquée par une vision passéiste et nostalgique, alimentée par un sentiment diffus de déclin ou des déclarations pessimistes que ne confirment pas les chiffres mais qui correspondent à une sorte d’inconscient collectif . Ce sont les médias, la télévision en particulier, qui constituent les outils privilégiés de cette politique.

Ü Susciter de la part des Français un réel soutien à leur langue

Les Français ne perçoivent pas encore le changement actuel de statut de leur langue dans le monde et les atouts objectifs dont elle dispose. Aussi doivent-ils abandonner toute attitude défensive et en même temps souvent agressive qui est contre productive. Ils devraient savoir, sans complexe, utiliser leur propre langue et tout particulièrement dans les enceintes officielles qui disposent de traducteurs. Le pragmatisme doit bien sûr prévaloir : l'anglais, comme d’autres langues, peut être utilisé, selon les situations, et le français intelligemment défendu, d’autant que les étrangers francophones et francophiles s’y emploient souvent davantage que les Français eux-mêmes !

Ü Rendre la langue française plus accessible

L'apprentissage de la langue repose encore trop souvent sur une pédagogie culpabilisante de la "faute". Si la langue française a fait pendant de longues années les délices de Bernard Pivot et de certains érudits étrangers, nous devons aujourd’hui la rendre accessible à de plus larges publics. Le français, lui aussi, sait s’adapter aux besoins nouveaux. Nous le démontrons chaque jour dans les centres qui accueillent des publics spécialisés qui viennent se familiariser avec notre langue ou parfaire la maîtrise qu’ils en ont, à des fins professionnelles.

Cette diversification des approches est un signe de bonne santé. Nous n’entendons pas nous endormir sur nos lauriers ou nous lamenter sur une grandeur passée. Le monde a évolué, le français aussi. Il garde sa place dans un monde en mutation où la diversité doit être sauvegardée.

En matière d’apprentissage, le Conseil de l'Europe, lors de l’Année européenne des Langues, a mis l'accent sur les compétences partielles qui facilitent la communication. Jusqu'où pouvons-nous aller dans cette voie ? Le débat est ouvert.


Conclusion

A la fois singulière et reconnue pour sa richesse et sa vocation internationale, la langue française doit pouvoir être préservée et s'adapter cependant à des situations nouvelles. Vecteur du débat d'idées, engagée dans le combat pour la diversité culturelle et linguistique, la langue française a un bel avenir devant elle et doit résolument s’inscrire dans un multilinguisme international.

Elle fait partie, comme toutes les langues, du bien commun de l’humanité à sauvegarder. Tel est un des messages forts du dernier forum social mondial qui s’est tenu à Porto Alegre.

Michèle SELLIER,
rectrice d’Académie
Sous-directrice du français
Direction générale de la Coopération internationale et du Développement
Ministère des Affaires étrangères