Français langue étrangère et français langue seconde en France et à l’étranger
Table ronde 1
Le français, langue étrangère,
langue seconde et langue nationale, face à la diversité des contextes
linguistiques,
Coordination assurée par MM. Jean-Claude Beacco et Jean-Louis Chiss,
Université de la Sorbonne nouvelle, Paris III
Cette session d'ouverture a pour objet de déployer les problématiques dans lesquelles sont amenées à s'inscrire les actions de politique éducative relatives aux langues, en France et hors de France. Ces actions impliquent le système éducatif français (enseignement obligatoire, secondaire, universitaire, professionnel), les collectivités territoriales (enseignements municipaux, actions régionales dans le cadre de la coopération décentralisée) ou l'offre associative (langues régionales, actions en direction des communautés nouvellement installées…) ainsi que le dispositif international de politique linguistique à l'étranger, en relation avec ses partenaires (systèmes éducatifs nationaux, régionaux, universités et institutions de formation des enseignants …).
Cette diversité d'acteurs et de relations potentielles entre ces acteurs est complexifiée par la diversité des contextes et des dynamiques sociétales, en particulier sociolinguistiques, en cours. Mais, pour caractériser des contextes éducatifs en termes de demande sociale et de réponses politiques, il importera d'examiner :
- les principes, c'est-à-dire les valeurs, au nom desquelles ces politiques linguistiques éducatives sont menées
- les mouvements sociétaux et les problèmes de sociétés que ces politiques sont censées prendre en charge
- les "objets didactiques", eux-mêmes élaborés pour partie par rapport à ces évolutions sociétales, susceptibles d'être sollicités pour dessiner des réponses techniques à ces questions
- la configuration de contextes typiques d'action, à savoir les paramètres susceptibles de caractériser des ensembles relativement homogènes de situations éducatives
Il semble nécessaire de situer les politiques linguistiques éducatives par rapport à des valeurs comme :
l'égalité des chances éducatives et l'inégalité linguistique (maîtrise différenciée de la (les) langues de l'Ecole)la constitution d'une appartenance nationale, transnationale ou extra nationale dans ses rapports avec l'enseignement en langue nationale ou de langue nationale (ou officielles), avec la valorisation et le développement des répertoires plurilingues des personnes et dans ses relations avec l'éducation à la démocratiela gestion de la diversité linguistique, en termes d'éducation à la tolérance linguistique, de reproduction du capital économique que constitue la connaissance des langues dans un espace national donné, de préservation du patrimoine linguistique, au moins au nom de la biodiversitél'éthique de la coopération internationale et les finalités de l'aide au développement, en relation avec les enjeux plus proprement nationaux des diplomaties[…]
Ces principes (et d'autres) sont argumentés au sein d'idéologies éducatives et linguistiques contradictoires : idéologie de la "pureté" de la langue et la préservation de celle-ci, de la supériorité de certaines variétés linguistes sur d'autres, de la définition de la citoyenneté en termes de langue (est citoyen de tel Etat qui "parle" la langue de cet Etat), de l'économie linguistique (la diversité des langues est d'un coût économique trop élevé)… C'est aussi par rapport à ces valeurs ou à des valeurs de cet ordre qu'il est indispensable de situer la "défense", la "diffusion" ou la "promotion" du français, principes qui peuvent recevoir des interprétations différentes selon qu'ils sont sollicités par des organisations nationales (MAE français) ou internationales (Organisation internationale de la francophonie, Union latine ou Coopération des trois espaces linguistiques : francophone, hispanophone et lusophone).Il importe que les politiques linguistiques éducatives se situent par rapport à de tels principes et aux conséquences impliquées dans leur mise en œuvre et qu'elles ne se limitent pas à fonder les décisions prises ou à prendre par leur efficacité technique recherchée ou leurs répondants scientifiques.
Les évolutions sociétales qui impliquent les langues sont multiples :
développement de la formation tout au long de la vie, y compris donc pour l'appropriation des langues (voir 1995 : Enseigner et apprendre. Vers la société cognitive, Commission européenne), en relation avec l'accroissement moyen de l'espérance de vie et les modifications du marché de l'emploiaccroissement des circulations des capitaux, des biens, des services, des personnes et des idées, donc des langues, dans le cadre de la constitution d'un espace médiatique internationalisé et d'une économie-monde uniquepermanence des mouvements migratoires (intra européens, intra américains, vers l'Europe …)attention accrue aux droits des minorités culturelles et linguistiques (voir la Charte européenne des langues régionales et minoritaires… proposée à la signature des Etats membres par le Conseil de l'Europe)reconnaissance de la valeur (y compris économique) de l'éducation (voir 1996 : L'éducation : un trésor est caché dedans, Rapport à l'UNESCO de la Commission internationale sur l'éducation pour le XXI° siècle, UNESCO)accroissement de la demande sociale en langues, valorisée comme composante du capital professionnel ou de la qualité de la viediffusion internationale d'une langue comme l'anglo-américain, contrebalancée par la valorisation locale de langues identitaires ou identifiantes (langues communautaires, langues régionales, langues autres que les langues étrangères très diffusées) selon le principe de distinctiondynamique de constitution de l'Europe (UE) et d'autres ensembles internationaux (ALENA, MERCOSUR…)[…]
Cet ensemble d'évolutions laisse entrevoir des prospectives contradictoires (homogénéisation, diversification, émiettement…) dans lesquelles les politiques linguistiques éducatives se doivent de définir leur rôle.
Ces évolutions, bien connues, ont trouvé des échos en didactique des langues et des cultures, où elles ont pu essaimer par l'intermédiaire d'autres disciplines (anthropologie culturelle, sociologie de l'éducation, philosophie politique, sociolinguistique et politique linguistique…). Ces problématiques susceptibles de permettre la mise enforme de réponses institutionnelles et politiques aux demandes collectives et aux projets politiques concernent, entre autres :
la compétence plurilingue, comme transversale à la maîtrise par les locuteurs (définis comme intrinsèquement plurilingues) de toutes les variétés linguistiques, , ce qui conduit à interroger les relations entre les enseignements de langue officielle, maternelle, régionale/indigène/autochtones/des communautés migrantes et "étrangères" (dans le cadre d'une éducation au langage)
l'éducation pluriculturelle et l'éveil aux langues, comme dimension éducative et
citoyenne des enseignements de languesla caractérisation des processus d'acquisition au-delà de l'acquisition dite précoce, en dans d'autres environnements que le seul "milieu naturel"l'apprentissage autonome, comme apprentissage toujours possible par défaut, et la centralité de l'apprendre à apprendrela "normalisation" en cours de la définition des compétences langagières, des échelles de descripteurs de compétences (voir le Cadre européen commun de référence pour les langues (2001, Conseil de l'Europe), mais aussi d'autres tentatives plus isolées animées du même esprit), des formes des certifications (voir ALTE), de tests (voir DYALANG) ou des niveaux de référence pour les langues (toujours dans le cadre du Conseil de l'Europe)l'incidence de l'utilisation des technologies de l'information et de la communication sur les enseignements (formation à distance, par exemple), les effets de circulations plus intenses de l'information sur les images des langues et des cultures nationales (qui deviennent sensibles à l'événement)les relations entre la réflexion sur les curriculums (relevant du champ de la didactique) et les politiques linguistiques éducatives, la mise en évidence du rôle des représentations sociales des langues (leur utilité, leur facilité…), de l'apprentissage des langues (apprentissage par cœur, apprentissage des "mots", finalité très légitimée : parler comme un natif, rôle attribué à l'intelligence ou aux prédispositions génétiques (être doué) pour l'appropriation des langues), en particulier sur les choix des langues apprises et les comportements d'apprentissagela permanence des interrogations sur la formation en langues des adultes, en situation professionnelle, l'identification et l'analyse des besoins langagiersles formations dites bilingues où la langue d'enseignement est, pour certaines disciplines, une langue étrangèrela prise en compte des cultures éducatives (comme s'inscrivant dans une continuité historique, relativement aux modes de transmission des connaissances, aux philosophies de l'éducation …) et aux caractéristiques linguistiques de celles-ci (ethnolinguistique, analyses de discours et diversité des genres discursifs…)réémergence de la problématique de l'enseignement du français à des apprenants dont ce n'est pas la langue maternelle ou d'usage familial (français "langue seconde" en France)[…]
Ces réflexions, dont certaines se caractérisent par un caractère opératoire, sont en mesure de fournir un cadre conceptuel à la mise au point de politiques éducatives, à élaborer en tenant compte de variables comme :
- la zone géopolitique : Europe occidentale, Europe centrale et orientale, pourtour méditerranéen et Etats de la communauté francophone…
-
les axes de la diplomatie culturelle nationale
- les situations sociolinguistiques (en particulier, statut du français comme langue "seconde", configuration des langues régionales/autochtones/indigènes/de communautés)
- la cohésion sociale dans ses dimensions communicatives (langage et socialisation, différenciation des rituels de la communication au sein d'une communauté de communication nationale)
- la nature des problèmes de politique linguistique reconnus comme tels (conflits linguistiques, émergence revendications identitaires passant par la langue, traitement des minorités…)
- la nature des relations culturelles (anciennes, conflictuelles, distantes…) avec la France
- l'audience de productions culturelles (françaises) : scientifiques, intellectuelles, artistiques…
- la place des langues dans les stratégies familiales d'investissement du système éducatif (langues et élitisme, désir d'intégration …)
- la place faite aux langues dans les systèmes éducatifs, par rapport à des questions éducatives prioritaires (éradication de l'analphabétisme, prise en charge de groupes s'autodéfinissant par leur marginalité)
-
les représentations des langues et les groupes sociaux, communautés ou régions plus sensibles à telle ou telle langue (voir : les cinq critères déterminants pour l'image d'une langue)
-
la présence d'une offre privée (ou, au moins, non nationale) de langues
- la structure des formations continues et permanentes des enseignants de langue (en France et à l'étranger), la définition des fonctions enseignantes (enseignants d'une seule langue, de la langue officielle et d'une langue étrangère …)
- les variations régionales, le niveau d'autonomie régionale des décisions de politique linguistique éducative…
Cette démarche de constitution d'une politique linguistique éducative coordonnée mais diversifiée implique, en amont, une vision d'ensemble de l'enseignement du français et en français (elle-même fondée sur la cohérence plurielle et modulaire de la discipline didactique des langues), laquelle devrait constituer l'axe des formations des enseignants, des chercheurs et des opérateurs linguistiques de cette politique.