Assises professionnelles du
Français Langue Étrangère / Français Langue Seconde

Paris, 26 janvier 2005


Le français langue étrangère – français langue seconde :
un objet didactique mal identifié, institutionnellement ignoré, socialement et politiquement subordonné

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Introduction Propositions

Introduction de Chantal Forestal


Plaisir et douleur de l'historique d'une discipline, la didactique d'une langue-culture

Je voudrais tout d’abord vous dire que je ne souhaite pas par cet historique me mettre au premier plan. Mais j’ai par contre envie très brièvement de vous dire ce que je suis, commencer par mon propre témoignage, les combats menés, les obstacles que nous avons rencontrés pour défendre et faire reconnaître notre profession (enseignant-formateur en FLE/FLS puis enseignant-chercheur en Didactologie des langues-cultures), car ils me permettent d’évaluer et mieux faire comprendre la situation actuelle et son caractère inadmissible. Et tant pis si d’aucuns me jugeront trop engagée pour être impartiale.

J’ai 61 ans. Je suis rentrée dans la profession en 1966. J’ai assuré mes premiers cours de FLE à l’Institut Américain et à l’Institut d’Études Françaises pour Étudiants Étrangers (Aix-Marseille 3).

À cette époque, hormis les stages du CREDIF réservés aux boursiers du Gouvernement français et aux coopérants à l’étranger, il n’y avait pas de formation spécifique en FLE à l’Université. C’était une époque où la connaissance de la littérature française était considérée comme la finalité suprême de tout apprentissage abouti de la langue française. La distinction entre FLM, FLE et FLS n’existait pas. La pièce à conviction pédagogique pour l’enseignement du français langue étrangère était détenue par le spécialiste de littérature médiévale, le dix-septièmiste, le dix-huitièmiste.

Par la suite, la pièce à conviction professionnelle a été détenue – pour une moindre part, il est vrai – par ceux qui passaient leur doctorat en syntaxe distributionnelle transformationnelle ou par les spécialistes de l’énonciation. Moi-même, il faut bien le dire, je me suis passionnée pour ces apports de la linguistique qui me changeaient des études littéraires classiques et qui me permettaient une bonne gymnastique intellectuelle sur le fonctionnement du langage et de la langue (Maîtrise de syntaxe, DEA de phonétique).

Les postes d’assistants justifiés par les effectifs des étudiants étrangers et par les étudiants qui s’inscrivaient à des diplômes « maison » (le CREDIF avait fait école, c’était la grande période de l’audiovisuel), ces postes étaient réservés aux docteurs en linguistique.

25 heures hebdomadaires toute l’année, cours d’été compris, ne permettaient tout au plus que de passer un DEA, mais certainement pas de s’engager dans une thèse.

Il fallait à cette époque (mais la situation a-t-elle vraiment changé ?) être en bonne santé car il n’y avait ni congé maladie, ni congé maternité, ni retraite.

Il a fallu qu’un événement très grave surgisse, pour qu’une prise de conscience collective nous amène à réagir : une collègue atteinte d’une maladie grave n’a pu être prise en charge par l’assurance maladie bien qu’elle ait été employée à plein temps depuis de nombreuses années. Les 11 enseignants de FLE avons mené collectivement la lutte pour exiger de M. Debbasch, Directrice de l’Institut, des feuilles de paye réglementaires. Nous avons gagné par rapport à la Sécurité Sociale (menace de l’Inspecteur de SS). Nous avions donc fait grève, et cette grève ne fut pas indolore. En 1979, Mme Debbasch nous annonce que (pour avoir fait grève) nous devions chercher un emploi ailleurs : nous avons été virées en dépit du soutien de l’ensemble des étudiants étrangers de l’Institut.

Malheureusement, cette fois la légalité fut respectée car l’amie de Mme Debbash, qui n’était autre que la Ministre des Universités (Mme Alice Saunier-Séité), soumit au Parlement un texte de loi annonçant le licenciement de tous les non titulaires de l’Université, à savoir 2 800 vacataires (essentiellement dans les secteurs ou disciplines nouvelles : Arts plastiques, Communication et surtout dans les centres universitaires de FLE, à 90 % vacatarisés à l’époque).

Il a fallu s’organiser, rechercher des solidarités. Grâce à l’ANEVES (Association Nationale des Enseignants Vacataires de l’Enseignement Supérieur) la lutte s’est organisée. Le Bureau National de cette association dont je faisais partie a pris contact avec tous les groupes parlementaires de droite et de gauche, avec le Sénat ainsi qu’avec les organisations syndicales (SNESUP, SGEN,…). Ces dernières ont adopté au départ un profil bas, convaincues qu’elles étaient de ne pouvoir mobiliser rapidement les titulaires pour les problèmes de non titulaires.

Notre seul recours fut alors d’attirer l’attention : six enseignants-chercheurs (de Paris III, Paris VIII) et moi-même commençons une grève de la faim dans la Tour Centrale de Jussieu pour éviter que la loi ne soit adoptée au Parlement. Malheureusement elle le sera. Quelques mois plus tard (j’étais devenue entre temps Secrétaire Nationale de l’ANEVES) je suis amenée à faire seule une grève de la faim de 26 jours pour obtenir l’annulation du décret d’application qui concerne la mise à pied de 2800 personnes. Tous les centres universitaires de FLE étaient concernés. La mobilisation fut générale, et j’ai pu apprécier l’efficacité et la fraternité des collègues de l’ANEVES puis peu à peu la solidarité et l’appui des syndicats tant au niveau de leur direction nationale que de leurs sections locales.

Compte tenu du rapport de force et de la mobilisation générale dans toutes les universités, le décret d’application concernant les vacataires « historiques » ou « vacataires à temps plein » de l’Université n’est pas appliqué. La Gauche arrive au pouvoir en 1981, et un amendement, l’amendement Santrot, permet la mise en place d’un plan d’intégration pour tous les non titulaires enseignants à temps plein de l’Université (« vacataires historiques »).

Je voudrais terminer cet historique par un point important.

Cette micro-initiative (une grève de la faim personnelle qui permet de déclencher une mobilisation générale dans toutes les universités) n’aurait pas eu tout son effet si elle n’avait été relayée par les « ténors » de la Didactique des Langues-cultures » (didactique du FLE). Je pense à Robert Galisson, initiateur d’une Didactologie/ Didactique des Langues-Cultures, Louis Porcher, Sophie Moirand, Rémy Porquier, Jacques Cortes ici présent, ancien Directeur du CREDIF, Henri Holec… et à tous ceux qui ont participé à la mise en place et aux débats de la « Commission Auba », installée par Alain Savary (qui a siégé de 1984 à 1985) pour instaurer un cursus universitaire en Français Langue Étrangère : mise en place de la licence, maîtrise, DESS et DEA pour les futurs enseignants de FLE, ainsi que de diplômes nationaux le DELF (alors Diplôme Elémentaire de Langue Française), le DALF (Diplôme Approfondi de Langue Française).

C’est en participant aux débats de cette commission (où j’étais la seule à représenter le terrain) que j’ai compris combien la vocation première de notre secteur, qui est de développer des formations en FLE-FLS (y compris en alphabétisation) pour répondre aux attentes et aux besoins des étrangers anciennement ou nouvellement arrivés en France, de mettre en place des programmes en fonction des véritables enjeux du terrain, avec des critères et des modalités d’appréciation (évaluation) qui privilégient des propositions concrètes d’intervention en termes de démarches, d’outils, de dispositifs d’enseignement/apprentissage, combien cette vocation d’une « discipline d’intervention » était minorée par rapport aux prétentions « scientifiques » des disciplines constituées (générales ou transversales) telles que la littérature française , la linguistique, la phonétique, etc.

La négociation comme le compromis auquel nous avons abouti sont la traduction de ce rapport de force : une licence à option (qui vient de disparaître), absence de concours CAPES de FLE-FLS ou options FLE-FLS dans les concours existants, absence le plus souvent de toute visibilité de la formation dans les nouveaux masters mis en place.

Parce qu’elle s’adresse (ou devrait s’adresser) aux acteurs de terrain et répondre aux besoins sociaux, parce qu’elle ne peut se satisfaire des disciplines normées, théorétiques et bien cotées à l’argus de l’Université, la Didactologie des Langues-cultures et du FLE-FLS est « la femme voilée » de l’Université française, celle qui alimente le gros des bataillons étudiants des sections langues vivantes et Sciences du Langage mais qui doit rester institutionnellement subordonnée. Depuis l’amendement Santrot, aucun plan d’intégration digne de ce nom n’a été proposé pour intégrer les vacataires historiques des centres universitaires de FLE (certains ont plus de 20 ans d’ancienneté). Les centres universitaires de FLE, qu’ils soient sous un statut de « service commun » ou assimilés à un « département », sont tous condamnés à fonctionner en marge des règles de la fonction publique et sont désormais des foyers d’emploi précaires : 63% de «saisonniers » permanents, professionnellement qualifiés mais payés à l’heure et révocables à merci comme en 1967. La mise en place d’une filière n’a rien changé : acquérir la mention FLE de la licence + la maîtrise + le DEA + le DESS ne donnent à proprement parler ni accès ni droit à une reconnaissance statutaire et à un débouché assuré. L’Université prend même la responsabilité de maintenir le verrouillage de la situation en refusant la mise en place la mise en place de concours , type CAPES « bi-langue » : FLE-FLM, FLE-anglais, FLE-arabe, etc., et non « bi-lingue », comme on l’entend parfois de gens plus ou moins bien intentionnés). Ou encore type CAPET en FLE-FLS : il est évident que les formations et la recherche en FLE-FLS aideraient beaucoup les futurs professeurs de français des établissements techniques et professionnels, qui s’adressent pour une bonne part à des publics d’origine étrangère anciennement ou récemment arrivés en France et qui doivent se familiariser au français de spécialité (français sur objectif spécifique).

Pour corroborer ce que je viens de vous dire, deux faits importants d’ordre politique me paraissent révélateurs : le rapport du Sénat concernant « Une nouvelle stratégie de l’action culturelle de la France à l’étranger » (N° 91 2004-2005) établi par M. Louis Duvernois, et le rapport de M. Philippe Séguin, Premier Président de la Cour des Comptes, qui rend public le 24 novembre 2004 un bilan sur notre système d’intégration à la française où il montre en quoi l’État a été inefficace :

Rapport du Sénat

Le 1er décembre 2004, M. Louis Duvernois, au nom de la Commission des affaires culturelles, a rendu un rapport de 150 pages sur la diffusion de la langue-culture française, intitulé « Pour une nouvelle stratégie de l’action culturelle extérieure : de l’exception à l’influence ».

Propositions :

Chapitre I : recentrer la francophonie sur la défense et la promotion du français et de la culture françaises.

– Il y parle de la défense du français au sein des institutions européennes.

– Il y parle de dégradation du langage qui annoncerait la dégradation nationale.

– Il y parle d’une langue trop « élitiste », trop « sacralisée » et insuffisamment « utile ». Voilà qui peut être une pierre dans le jardin de nos défenseurs des « Belles Lettres » et de notre patrimoine littéraire à travers nos CAPES traditionnels. Rappelons que les quelques postes de certifiés dans nos centres universitaires sur des postes de FLE-FLS sont des capésiens de Lettres modernes. Or la position que nous défendons en didactique du FLE-FLES n’est ni élitiste, ni utilitariste marchand.

Chapitre II : La défense du français c’est d’abord « celle de la diversité culturelle : le français et le dialogue des cultures ». C’est ce que propose dans ses formations la Didactique des Langues-cultures. Mais bien entendu aucune référence n’est faite à notre discipline, qui pose entre autres comme question majeure la manière de penser les différentes articulations langue-culture française en y intégrant les langues et les cultures d’origine.

Chapitre III : Autre question abordée par les rapporteurs : « Qui pilote la francophonie ? » La question bien entendu reste globale avec toutefois un distinguo : la France et l’Étranger.

En ce qui concerne la francophonie en France, le rapport souligne qu’il n’y a pas de « pilote du navire », que « le budget est non identifié ». Voilà comment on ignore les publics concernés et les acteurs qui ont la responsabilité de ces publics – à savoir ces « ouvriers » de la langue française, ceux qui oeuvrent dans la soute et qui font avancer le bateau de la francophonie, les bénévoles dans les associations de migrants, les « saisonniers à temps plein » de nos centres universitaires ou des Instituts franco-scandinaves et autres, ainsi que tous ces non titulaires dans nos organismes de formation (GRETA, organismes en contact avec le CRI ou le FASILD,…), tous ceux qui assurent les cours d’alphabétisation, les enseignants de CLIN (classes d’initiation pour les primo-arrivants) ,certes titulaires et qualifiés, compétents mais jamais reconnus, même lorsqu’ils sont amenés à former les enseignants stagiaires de la filière FLE. Tous ces « intermittents permanents » semblent n’être en fait reconnus que comme des animateurs de quartier qui n’existent que le temps d’une fête… ! Même nos saisonniers permanents de l’Université lorsqu’ils sont embauchés dans la dite université le sont sur des statuts qui ne correspondent en rien à la réalité de la fonction ni du travail : statut IATOS où les heures sont gonflées pour permettre des rémunérations décentes, ou encore sur des fausses missions pour atteindre les salaires convenus. Mais la plupart sont désormais « externalisés » pour éviter d’avoir à payer le chômage, ce qui signifie le recours illégal à une entreprise prête-nom. Sur les contrats figurent différents lieux d’intervention bien qu’ils n’interviennent que sur l’université, afin d’éviter de devoir les titulariser . (cf. sur ce point Le Livre Blanc de l’ADCUEF).

Mais la francophonie hexagonale, ce n’est peut-être pas pour M. Duvernois la « vraie francophonie ». La vraie, c’est celle du « grand large », celle qui diffuse notre exception culturelle à l’étranger, celle qui a ces grandes voiles que sont nos Alliances Françaises, nos Instituts culturels, notre haute technologie, celle de TV5, de RFI, de nos satellites. Le rapport s’étend longuement sur le thème de la haute technologie . C’est là semble-t-il que se fonde tous les espoirs : l’enjeu de la francophonie numérique, le pôle télévisuel avec TV5, « la cohérence de notre dispositif audiovisuel extérieur », les « industries culturelles, musicales »… C’est là sans aucun doute qu’il faut « mettre la gomme » (passez-moi l’expression), car c’est grâce à cette haute technologie, nous dit-on, que « la francophonie sera subversive, imaginative ou ne sera pas ». Et nous retrouvons une fois de plus l’alibi politique des utopies technologiques au détriment des personnels, sans parler des quelques échecs de nos bouquets satellitaires

Quant à l’enseignement-apprentissage de notre langue, c’est un art sans doute devenu mineur. Quelques points négatifs sont soulignés de manière très globale, mais le problème de l’enseignement et des enseignants est, comme chacun sait, dépassé… On signale simplement que la situation du réseau de nos établissements français à l’étranger n’est guère brillante. Les établissements n’ont pas su profiter de leur situation privilégiée pour offrir à leurs élèves des programmes « ancrés » dans le milieu culturel et linguistique. Très peu – pour ne pas dire rien – n’est dit malheureusement dit, une fois de plus, sur ceux qui assurent l’enseignement-apprentissage de la langue-culture française, si ce n’est lorsque l’on évoque la diversité des personnels, pas nécessairement enseignants, et la disparité des statuts. M. Louis Duvernois, savez-vous qu’il existe une discipline, la Didactique des langues-cultures, qui a le plus grand mal à se faire reconnaître à l’Université, qui s’efforce, elle, de défendre une formation de formateurs, une formation qui tienne compte du milieu de la culture didactique de l’apprenant, de ses stratégies d’apprentissage, de ses difficultés d’ordre linguistico-culturel ? Savez-vous cela, M. Duvernois ? Ce serait le moins pour l’auteur d’un rapport à finalité stratégique. « La francophonie passe par l’emploi… ». Il faut privilégier , dites-vous, « des formations qualifiantes ». C’est indispensable, certes, et les formations doivent aboutir – vous avez parfaitement raison – à des débouchés dans le circuit économique. Mais vous n’avez malheureusement à l’esprit que les seuls débouchés des apprenants de FLE dans les entreprises locales en lien avec les pays francophones, et vous oubliez dans votre rapport, une fois de plus, les formations nécessaires qualifiantes dans les filières FLE-FLS de nos universités, vous oubliez ces filières spécifiques qui permettent une ouverture de nos universités à l’international, vous oubliez le rôle moteur que peuvent jouer les centres de langue de FLE publics ou privés.

Avez-vous enquêté auprès des établissements français à l’étranger et dans les instituts sur une réelle formation des professeurs de français FLE (et non de FLM) ? Savez-vous qu’avec un niveau Bac + 5, nos étudiants se voient damer le pion à l’étranger dans nos instituts ou lycées français par des professeurs d’histoire-géographie, de mathématiques, qui seuls ont droit à des postes de titulaires de l’Éducation Nationale, quand ce ne sont pas tout simplement des femmes d’expatriés sans qualification à qui l’on donne la priorité ? Votre rapport a-t-il comptabilisé les enseignants de français, leur formation, leur profil ? Il y a bien sûr les quelques privilégiés détachés de l’Éducation Nationale, mais avez-vous analysé les types de contrats proposés à l’étranger : contrat à durée déterminée, contrats locaux, contrats d’assistant de langue, le volontariat national, les faux contrats locaux offerts le pus souvent par les services culturels français, et qui du point de vue de la rémunération ne correspondent à rien d’acceptable en France ? Il y a ceux qui s’investissent sans avenir sur des conventions de stage signées entre les universités françaises et les universités étrangères, les stagiaires du Ministère des Affaires Étrangères, bref autant de nobles institutions qui les emploient parfois subrepticement les enseignants de FLE et qui considèrent ne rien leur devoir après s’être servies d’eux ?

Pourquoi le rapport ne se prononce-t-il pas sur les contrats obtenus en France ? Pourquoi le rapport ne dénonce-t-il pas tous ces CDD en grand nombre, de durée très variable – de quelques jours à plusieurs mois – et impliquant un volume horaire exorbitant, de sorte qu’il s’agit d’un véritable contrat de saisonnier pour la plupart. Est-il admissible qu’entre deux contrats on s’arrange aussi souvent pour respecter la période d’attente légale qui permet de ne pas engager sur un CDI ou payer des indemnités de chômage ? Pourquoi le rapport ne parle-t-il pas des CDI eux-mêmes, soumis eux aussi à de très fortes variations : contrat à durée indéterminée à temps plein, à temps partiel, à temps annualisé ou encore contrat intermittent à durée indéterminée. L’Éducation Nationale peut proposer des contrats à durée « déterminée » de 12 mois, de 6 mois, de 3 mois… Pour quelle raison dans un rapport de la commission culturelle sur l’enseignement et la diffusion de notre langue et culture françaises n’est-on pas capable de faire une étude globale et sérieuse sur les établissements et secteurs concernés par les lieux d’exercice de notre profession, sur les établissements publics d’enseignement ou de formation : collèges, lycées, universités, GRETA ; établissement privés d’enseignement ou de formation d’adultes : centres de langue ; associations de lutte contre l’illettrisme et l’analphabétisme (AEFTI..), Alliances françaises en France ou à l’étranger, centres de coopération culturelle et linguistique, instituts français ou services de coopération et d’action culturelle ? Pourquoi ? Simplement pour ne pas avoir à en connaître et à en débattre politiquement. Question d’économie, sans doute, tellement nous sommes là dans une logique capitaliste aux priorités « inhumanitaires ». La puissance publique n’a jamais cru bon d’affronter le problème de la reconnaissance d’un statut et la dignité d’une fonction : celle d’enseignant-formateur en FLE-FLS. Depuis trois décennies, la Droite comme la Gauche, tout en tenant de beaux discours sur la défense de la langue française et sur son exception culturelle, ont ignoré les enseignants-formateurs avec d’autant plus de facilité que l’Université elle-même, lorsqu’elle s’est emparée de la formation, a considéré celle-ci comme une formation de seconde zone : les filières FLE-FLS sont devenus les ZEP du Supérieur. Je rappelle ici un propos de Jacques Cortès in n° 27 des ÉLA : « Les linguistes depuis le commencement du monde, sont persuadés que la pédagogie des langues et sa face théorique, la didactique des langues, sont à la rigueur l’affaire du Primaire à l’extrême rigueur du Secondaire, mais pas du Supérieur ». Le résultat, nous le connaissons, et je l’ai moi-même souvent évoqué dans des articles publiés dans le bulletin du SNESUP, par exemple dans « Le FLE/FLS, un objet didactique mal identifié, institutionnellement ignoré, localement et politiquement subordonné » (n° 430/2001). Il suffit de connaître les rapports de la 7ème section du CNU concernant la qualification aux fonctions de Maître de conférences et de Professeurs des universités en DLC pour se faire une idée précise de l’état de méconnaissance totale de l’Institution à l’égard de notre discipline. Les meilleurs spécialistes mondiaux du FLE-FLS sont parfois ignorés, exclus, pour cause de « qualité scientifique insuffisante » de leur travaux, par des instances d’évaluation qui font profession publique de mépriser notre domaine de recherche et d’intervention.

Le rapport s’est-il interrogé et a-t-il interrogé l’Université sur ses formations dans ce domaine ? Il ne précise pas combien d’étudiants stagiaires en maîtrise FLE et en DESS, tous les ans, assurent à l’étranger, dans le cadre de stages longs du ministère des affaires étrangères ou dans le cadre d’emplois locaux à 2 500 F par mois (381 €), des cours aux étrangers mais également des cours de formations des formateurs de français dans les pays d’accueil. Il ne mentionne pas les économies faites par le Gouvernement dans ce domaine. Cela permet nous le savons, non seulement de ne pas avoir à créer de postes, mais ne pas identifier ces « O.S. » du FLE, cela permet bien évidemment de ne pas avoir à leur assurer la retraite, les congés maladies,… Le budget n’est pas identifié parce qu’il n’y a pas intérêt à ce qu’il le soit.

Peu importe aux auteurs de ce rapport tous ces faits ressentis par les intéressés comme des humiliations, dénégations et dévalorisations professionnelles, et toutes leurs répercussions sur la vie personnelle et professionnelle : impossibilité de se projeter de quelque façon que se soit dans l’avenir, mois d’été passés à se demander à quelle sauce on va être mangé à la rentrée ou même s’il y aura quelque chose à manger, hantise de tomber malade en se demandant quelles suites seront données à une absence. Sans parler, aujourd’hui comme en 1966 , d’intervention chirurgicale ou de longue maladie, et moins encore d’état dépressif sur des périodes de plus en plus longues…

L’état des lieux sur ces réalités professionnelles et sociales des acteurs de la diffusion de la langue–culture française en France et à l’étranger, nous l’avons fait et continuerons à le faire : je vous invite à remplir le questionnaire qu’Isabelle Barrière propose pour les besoins de son enquête, et qui vous a été distribué au début de ces Assises, qui se trouve également sur notre site.

Rapport de la Cour des Comptes sur l'accueil des immigrants et l'intégration des populations issues de l'intégration

Cette démission des pouvoirs publics, nous la retrouvons dans un rapport sans faux-semblants, semble-t-il au départ, de la Cour des Comptes, qui dresse un bilan de la politique d’immigration en France. Rapport accablant de Philippe Seguin, Premier Président de la Cour des Comptes.

Premier constat : la situation d’une partie de la population issue de l’immigration est plus que préoccupante, notamment en matière d’éducation. Ces mauvais résultats sont à l’origine de « dysfonctionnements graves du corps social, lourds de menaces pour l’avenir ».

Cette situation de crise n’est pas le produit de l’immigration, écrivent les auteurs du rapport. Les pouvoirs publics ont toujours mis la priorité sur les questions d’entrée et de séjour des étrangers, mais ont négligé l’accueil des migrants, et, faudrait-il ajouter, l’association à la République par la langue-culture française pour les nouveaux venus et les populations instables de nos banlieues.

La Cour des Comptes observe que les politiques d’intégration sont « mal définies dans leurs objectifs, et que leurs principes sont parfois menés de manière incohérente ».

Aucune lisibilité, ici encore, des dépenses de l’État affectées à l’accueil des migrants. Le coût du Contrat d’Accueil et d’Insertion (C.A.I.) est estimé à 47 millions d’euros. La Cour s’inquiète des financements futurs. Elle recommande de veiller à l’assiduité aux formations. Elle juge décevante la politique conduite, mais n’en dit pas plus sur les qualifications nécessaires des acteurs de la formation de base en alphabétisation pour ces publics étrangers.

On reste abasourdi devant ce rapport sorti du chapeau lors des Assises de la citoyenneté : pas de statistiques précises, pas d’études, pas de classement par nationalité, pas de débat sérieux. Pour les immigrés,comme pour les enseignants de FLE-FLS, la règle des règles, le mot d’ordre, c’est : surtout ne pas compter, surtout ne pas identifier.

– L’immigration : sujet non identifié dans le budget de l’État.

– Les clandestins : un laisser-faire indigne

– La didactique du FLE-FLS : une discipline non identifiée.

La France a engendré ainsi des situations invraisemblables et inadmissibles pour l’accueil et la formation des immigrés. C’est le rapport qui le dit. Mais les moyens ne sont pas du ressort de la commission. Le résultat de ce laisser-faire, nous le connaissons : à la sous prolétarisation de certains publics étrangers répond la prolétarisation des enseignants formateurs en FLE-FLS.


Priorités, pistes et propositions d’action

Une organisation nécessaire

1. Préparer les États Généraux du FLE/FLS

Un véritable métier

2. Créer un statut pour les enseignants en FLE-FLS, créer des postes d’enseignants titulaires de FLE-FLS dont notre pays a besoin. Nous n’acceptons plus d’être des intermittents de l’enseignement de la langue française. Nous n’acceptons plus de participer a la destruction de tout le travail fait depuis 120 ans dans les Alliances françaises et autres établissements par les francophones et francophiles, en France et à l’étranger.

3. Le FLE-FLS implique une dimension recherche, indispensable pour conceptualiser des pratiques et s’adapter à des publics très complexes.

4. Développer les formations de FLE/FLS (y compris sur l’alphabétisation) à l’université et dans les IUFM, pour répondre aux attentes et aux besoins des habitants et étrangers nouveaux arrivants.

5. Créer des concours nationaux de FLE-FLS ou des options FLE-FLS dans les concours existants, avec des programmes exigeants correspondant aux véritables enjeux du terrain ; avec des critères et modalités d’évaluation privilégiant la conceptualisation des pratiques et les propositions concrètes d’intervention en termes de démarches, d’outils et de dispositifs d’enseignement/apprentissage.

Des recherches scientifiques

6. Développer des programmes de recherche en didactique des langues-cultures portant sur l’enseignement-apprentissage du français dans ses différentes dimensions (FLE, FLS, FLM) et à ses différents niveaux (scolaire et universitaire) pour ses différents publics (enfants et adultes) au service de valeurs et de finalités clairement affichées. Comment humaniser cet enseignement-apprentissage ? Comment revoir l’organisation du temps et des rythmes d’apprentissage ? Comment mettre l’évaluation des apprenants au service de leur développement personnel ? Comment penser les différentes articulations langue-culture en y intégrant les langues d’origine et les cultures d’apprentissage. On ne dira jamais assez les ravages provoqués dans les têtes des écoliers par la boite à outils de la linguistique, à l’image de ces spécialistes qui s’intéressent davantage à la maladie qu’au malade.

Pour le didactologue–didacticien, il convient plus que jamais de rappeler le propos de Christian Puren et « d’agir tout en restant conscient des deux perspectives opposées et pourtant nécessaires parce que complémentaires : la perspective du sujet et la perspective de l’objet », à savoir l’apprenant et la langue française. Tous ces problèmes doivent faire l’objet d’une réflexion en profondeur pour donner à notre discipline un droit d’exister dans la recherche universitaire autrement que par procuration ou par charité. Cette question doit enfin être envisagée avec la gravité qui convient. Le FLE-FLS est loin d’avoir obtenu le droit d’existence universitaire que nécessite tout domaine de recherche, et en particulier celui-ci, fondé sur des besoins sociaux que ces Assises permettront de rappeler encore avec force. D’autres que moi pourront, je l’espère, au cours de la journée, intervenir sur cette question aussi cruciale puisqu’elle conditionne tout l’avenir de notre secteur de recherche, toute sa crédibilité, et, par voie de conséquence, toutes les carrières à venir de nos étudiants et finalement tout le succès de notre politique de diffusion de la langue-culture française à l’étranger et en France. Tant que notre discipline ne sera pas clairement identifiée dans la spécificité de ses concepts et méthodes de travail, tant que sévira le mépris dans lequel le système la tient, on ne pourra d’évidence pas espérer faire progresser significativement les droits de nos professeurs, de nos chercheurs et de nos étudiants. Notre domaine de recherche n’est plus d’ordre applicationniste comme dans les années 60. Nous parlons aujourd’hui, non plus de langue au sens saussurien du terme, mais de langue-culture, de sociologie, de sociolinguistique, d’anthropologie de la communication mais aussi, comme le rappelle constamment Robert Galisson, d’éthique, d’idéologie, de valeurs éducatives à défendre à tout prix dans le domaine de l’enseignement des langues-cultures.

Vouloir faire entrer la DLC dans le lit de Procuste d’une discipline dominante, telle est la cause principale des piétinements actuels. Négliger notre spécificité disciplinaire, c’est placer la reconnaissance de nos chercheurs, leur qualification sous la dépendance de critères de scientificité inadéquats. Il faudra parler de tout cela, et se battre désormais avec détermination pour la reconnaissance de l’autonomie du secteur de la Didactologie des langues-cultures au sein des sciences du langage, ou ailleurs, si besoin est. Il faut en finir avec le passéisme et le mépris.

Des structures qui doivent être adaptées. Quelques propositions

7. Fondation de Maisons Françaises des Langues-Cultures, qui seraient des espaces de rencontres et d’apprentissage entre les habitants français et étrangers : c’est une proposition de Yannick Lefranc. Des professeurs de langues, des bibliothécaires, des animateurs et des artistes y oeuvreraient ensemble pour y développer un plurilinguisme républicain où le français jouerait le rôle de lien symbolique entre les langues-cultures et les citoyens français. Si les frères musulmans ont su si bien accaparer la tête de certains publics fragilisés, c’est aussi, quelque part, parce qu’un certain nombre de travailleurs sociaux et éducatifs n’ont pas eu la reconnaissance qu’ils méritaient.

8. Création d’une structure de concertation et de coordination pour des actions communes entre formateurs et des chercheurs du service public (institutions scolaires et universitaires) et mouvements de l’éducation populaire laïque et républicaine, par exemple la CIMADE, les Universités populaires, les Centres de Ressources de lutte contre l’Analphabétisme et l’Illettrisme (CRI), les Centres intérêts des Immigrés Maghrébins (CIDIM), le Comité de Liaison pour l’Alphabétisation et la Promotion (CLAP), auxquels on pourrait ajouter d’autres, comme Forum Femmes Méditerranée : les femmes en effet, comme nous le savons, sont celles qui sont majoritairement concernées par l’analphabétisme.

9. Outre les universités et les institutions publiques les institutions privées, les organisations syndicales, l’institution de la recherche de la FSU devraient encourager les analyses et les théorisations des pratiques et des expériences d’enseignement apprentissage du FLE-FLS. Nous rendons ici à notre maître Robert Galisson, ce « sage fou » qui a initié le combat et qui se bat depuis plusieurs décennies pour faire reconnaître la « Didactologie des Langues-cultures » l’hommage qui lui a été fait à l’Étranger mieux qu’en France. Ses travaux soulignent avec force la nécessité de prendre en compte le contexte, le terrain, ses acteurs et (re)donner à ces derniers la dignité qu’ils méritent, bref « combler le fossé du mépris et de la honte qui sépare la théorie de l’action » (André Megge et Jean Bellanger, Président de l’AEFTI prendront aujourd’hui la parole pour reprendre cette idée).

Des « fondations du mouvement social » devraient financer les recherches en FLE-FLS correspondant aux besoins sociaux, dans une logique de contre-expertise où les données des travaux savants étayeraient les luttes sociales au lieu de les occulter, comme c’est souvent le cas dans notre secteur.

10. En ce qui concerne mon premier point – « une organisation nécessaire » –, il devient indispensable de convaincre les intermittents de l’enseignement du français de se syndiquer (même si les syndicats n’ont pas su reconnaître leur travail et leur fonction dans le domaine de l’intégration des migrants ou du soutien scolaire, trop occupés qu’ils sont souvent à défendre les seuls statuts existants), d’adapter les cotisations, de retravailler l’action syndicale et de créer des lieux et des occasions de concertation entre associations et syndicats afin de développer l’information concrète sur les emplois disponibles et à créer, et sur les actions à mener en commun.

Chantal FORESTAL
(Maître de conférences, HDR en Didactique des langues-cultures, Université de Provence)