ÉTATS GÉNÉRAUX DE LA PROMOTION DU FRANÇAIS

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ALLOCUTION D'OUVERTURE D'ALAIN JUPPÉ, MINISTRE D’ÉTAT, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET EUROPÉENNES,

19 octobre 2011

Monsieur le Secrétaire général, Cher Président Abdou Diouf,
Monsieur le Ministre, Cher Xavier Darcos,
Maître, Cher Amin Maalouf,
Mesdames, Messieurs,

Lorsque, au gré de mes voyages, j’entends un Sénégalais, un Malien, un Québécois ou un Mauricien parler français avec élégance, subtilité et profondeur, je me dis que, contrairement au pessimisme ambiant, notre langue a tout l’avenir devant elle.


Etats généraux de la promotion du français

Lorsque je lis une œuvre littéraire du monde francophone, où résonne l’écho de toutes les mutations contemporaines, je me dis aussi que la diversité linguistique exprime mieux que tout la complexité de la nature humaine.

Dans le monde de demain toutes les langues auront, doivent avoir leur place. Bien sûr nous savons tous l’importance de l’anglais, importance à la mesure de l’extraordinaire expansion du Royaume-Uni durant trois siècles, à la mesure aujiued'hui de la première puissance économique du monde.

Mais nous savons aussi que notre planète compte aussi 220 millions d’arabophones, au moins 330 millions d’hispanophones, 1,2 millions de personnes qui s’expriment en langues dérivées du sanscrit et 1,3 milliards qui parlent des langues chinoises.

Nous savons aussi que dans un monde où les équilibres se redessinent, les nouvelles puissances émergentes affirment la vocation internationale de leur propre langue.

Nous savons surtout que le français, présent sur les cinq continents, porte des valeurs - le respect de la personne humaine, la liberté, la tolérance, la démocratie - qui parle à tous les peuples.

Pouvons-nous oublier que c’est en terre francophone, en Tunisie, qu’est né ce formidable élan vers la modernité qu’est le printemps arabe ? Dans la rue, sur les blogs, dans les médias, c’est aussi en français que la jeunesse arabe crie ses aspirations. Elle rappelle ainsi au monde que la langue de Montesquieu et de Senghor est une des grandes langues de la liberté, de la dignité et de la justice. Elle nous oblige au devoir de solidarité et de protection. Soyons dignes de cet appel.

Notre défi à tous est de permettre au français de demeurer cette langue universelle qu’il a toujours été.

Et ce combat, j’en ai la profonde conviction, n’est pas un combat d’arrière-garde. C’est un combat pour l’avenir, que mène l’Organisation internationale de la Francophonie depuis plus de 40 ans, avec générosité, détermination et ouverture au monde - je me réjouis d’ailleurs qu’elle dispose aujourd’hui à Paris d’un siège parisien à la hauteur de ses ambitions et de son rôle.

Sous votre conduite vigilante et éclairée, Cher Abdou Diouf, et avec le soutien engagé de Jean-Pierre Raffarin, représentant personnel du président de la République pour la Francophonie, qui clôturera, je crois, vos travaux, elle a à cœur de se saisir des grands débats de notre temps : la paix et la résolution des conflits, les progrès de la démocratie et des droits de l’Homme ou encore le développement durable.


Je suis heureux que le Forum mondial de la langue française, qui se tiendra l’an prochain à Québec, comme me l’a confirmé le Premier ministre Jean Charest en visite à Paris, soit tourné vers la jeunesse et les réseaux sociaux. J’y vois un nouveau témoignage de la modernité de l’engagement de votre organisation.

Dans ce combat, la France a évidemment une responsabilité particulière, même si la langue, le français, n’est pas sa propriété : peu de pays accordent autant d’importance à leur langue dans la conscience qu’ils ont d’eux-mêmes. Elle doit jouer tout son rôle, sans céder à la tentation de la nostalgie ni de la démission.

Il ne s’agit pas d’opposer de façon idéologique le français à telle ou telle autre langue, de faire de la francophonie une forteresse assiégée par le monde anglo-saxon et ses « valeurs mondialisées ». Dans ce combat d’un autre âge, notre langue aurait beaucoup à perdre. Nous nous battons pour le multilinguisme, nous devons au contraire encourager la connaissance mutuelle et le dialogue. C’est l’objectif du rapprochement de la Francophonie avec le Commonwealth, voulu par le président de la République, et qui doit être poursuivi.

Il ne s’agit pas non plus de baisser les bras et de renoncer à notre identité, car c’est avant tout contre nous-mêmes que nous devons défendre notre langue. Vous connaissez ma manie de dénoncer telle ou telle facilité, telle ou telle paresse aux adeptes des « meetings », des « briefings » et autres « Conf. Calls ». Je veux rappeler que l’avenir du français est entre nos mains. Hier encore dans une réunion, on m’expliquait qu’on devait suivre notre « road map » comme si la feuille de route n’était pas une traduction assez poétique avec un petit parfum automnal de ce sigle. Certes, notre langue doit s’ouvrir à des mots nouveaux, elle le fait depuis des siècles, depuis qu’elle existe, il en continuera ainsi lorsque c’est nécessaire, lorsqu’il n’y a pas d’équivalent en français, mais ayons le souci de la pureté du français, non seulement de son vocabulaire mais aussi de sa syntaxe, où il y aurait aussi beaucoup à dire.


Avec l’aide de notre nouvel opérateur, l’Institut français, qui sous la présidence éclairée de Xavier Darcos, se consacre pleinement à ses missions de promotion de la langue française, nous devons porter nos efforts dans cinq directions.

La première, ce sont les institutions européennes et multilatérales, où se décide l’avenir du monde et où notre langue est l’une des rares langues de travail universellement reconnues.

Nous devons veiller au respect des règles du multilinguisme, à la relève des traducteurs et à la formation au français des hauts fonctionnaires. Avec l’Organisation internationale de la Francophonie, nous avons mis en place un programme dont plus de 60 000 fonctionnaires européens ont bénéficié depuis 2007. Je vous demande de réfléchir à la manière d’étendre ce type d’initiatives à d’autres enceintes internationales ou régionales.

Il va de soi que les Français doivent donner l’exemple. Comme l’a indiqué le président de la République, nous serons vigilants avec ceux d’entre eux qui choisissent de parler anglais dans des institutions dont le régime linguistique et les facilités d’interprétariat permettent pourtant l’utilisation du français.


Deuxième direction : les pays francophones, qui comptent aujourd’hui 220 millions d’hommes et de femmes et qui en compteront en 2050 plus d’un demi-milliard, c’est là la chance du français.

Nous devons consolider cette communauté unie et fraternelle en aidant nos partenaires à développer la francophonie dans l’éducation, la culture, la communication - je pense en particulier à la diffusion des chaînes de télévision française, au premier rang desquelles TV5 monde et France 24. Moi qui passe beaucoup de nuits dans des hôtels répartis un peu partout à travers la planète, je sais à quel point il est important, quand on tourne le bouton de sa télévision ou qu’on actionne sa télécommande, de tomber sur TV5 Monde ou sur France 24.

Permettez-moi de m’arrêter un instant sur l’éducation. Notre défi est double : élever substantiellement leur niveau d’éducation et de formation, et proposer à leur population des programmes d’enseignement où la langue française occupe une place importante.

C’est la raison pour laquelle nous avons formé 10 000 professeurs de français dans la zone francophone au cours des dernières années. Nous devons poursuivre nos efforts, en nous appuyant sur les agences internationales, au premier rang desquelles l’Agence universitaire de la Francophonie - je salue André Schneider, ici présent - : avec 43 campus numériques francophones, 2 500 aides à la mobilité d’enseignants-chercheurs et étudiants, une centaine de projets de coopération scientifique et 7 000 étudiants soutenus en 2010, cette agence constitue pour nous un outil tout à fait remarquable.

Dans cet effort, nous devons porter une attention toute particulière aux pays du monde arabe qui se sont engagés dans un mouvement de transition vers la démocratie et où les jeunes sont les premiers acteurs du changement. Je l’évoquais tout à l’heure, et j’ai en mémoire l’image de Mohamed Bouazizi, dont le sacrifice est à l’origine de la révolution de Jasmin.

Nous devons nouer davantage de contacts avec cette composante essentielle de la société civile qu’est la jeunesse, qui a particulièrement besoin du français pour réussir socialement mais aussi professionnellement. Je souhaite que l’Institut français mette en place à son intention, et notamment à l’intention des jeunes qui ont un engagement civique, un programme spécial associant formation au français et enseignement professionnel, voire enseignement sur la construction de l’État de droit et la démocratie. Je souhaite aussi la mise en place, y compris dans les pays arabes où notre langue n’a pas la même présence historique, d’un programme de bourses Espoir destiné à permettre à des jeunes qui n’en ont pas les moyens d’étudier dans les lycées français.


Troisième direction de travail : les pays non francophones, où le français a le privilège d’être enseigné, c’est le cas presque partout.

Notre effort doit s’orienter en priorité sur l’Europe où, vous le savez, le français ne se porte pas très bien. Laisser son usage régresser encore, ce serait affaiblir notre pays au sein de son premier cercle d’appartenance.

Notre effort doit aussi se porter sur les pays du G20, où se mêlent puissances établies, comme les États-Unis, ou émergentes, comme le Brésil ou la Chine. Chacun d’entre eux a intérêt à encourager le développement du multilinguisme. Chacun d’entre eux doit être conscient de la nécessité de l’enseignement d’au moins deux langues étrangères. Je sais que, dans le contexte actuel de crise des finances publiques, certaines autorités éducatives sont tentées de remettre en cause l’apprentissage d’une deuxième langue. Je m’étonne d’ailleurs que certains pays aient fait ce choix pour le lycée, alors même qu’ils bénéficient de l’aide de la France. À court terme, cela nuit toujours au français. À plus long terme, ce sont avant tout les populations qui en font les frais, car elles sont ainsi privées de certaines bourses universitaires ou de certains débouchés économiques.

Au-delà de l’action de plaidoyer, nous devons aussi améliorer l’offre de langue française.

Cela suppose d’abord de soutenir les professeurs qui sont près d’un million à enseigner notre langue dans le monde. Ils sont les fers de lance de la francophonie. La France sera à leurs côtés lors de leur Congrès mondial, à Durban, en 2012.

Cela suppose aussi de développer les diplômes qui permettent de reconnaître le niveau atteint par les élèves étrangers en langue française. Ces diplômes doivent devenir des références dans le monde entier.

Cela suppose surtout - c’est votre priorité - de favoriser l’essor de l’enseignement bilingue en français, dont 1,7 millions d’élèves bénéficient actuellement. C’est l’objectif du label FranceÉducation, qui sera dans un premier temps mis en place en Turquie, dans les pays d’Europe centrale, comme par exemple en République tchèque, ou encore aux États-Unis, où j’ai souhaité lancer un plan de relance du français. Je vous demande de réfléchir à d’autres initiatives en ce sens. Pour ma part, je veillerai à ce que soient développées les filières francophones dans les universités étrangères, ainsi que les antennes internationales de nos universités, qui complètent utilement l’accueil en France des étudiants étrangers. Nos universités doivent rester ouvertes aux étudiants étrangers. Je dis souvent qu’un étudiant étranger qui a passé un ou deux ans d’études en France, à de rarissimes exceptions, c’est un ami de la France pour la vie. C’est donc un réseau d’influence dont nous ne devons pas nous priver.

Naturellement, vous devez continuer à proposer un enseignement d’excellence dans le cadre de notre propre réseau culturel et éducatif. Je pense à nos 600 établissements culturels - instituts français ou alliances - qui enseignent notre langue à près d’un million d’étudiants. Je pense aussi à nos 475 établissements scolaires à programmes français (de l'AEFE, de la Mission laïque, de l'Alliance israélite universelle…), qui scolarisent 300 000 élèves. Dans tous les pays du monde, ils sont confrontés à une demande croissante de français. Nous devons y répondre et aucun autre pays ne dispose d’un réseau aussi développé que le nôtre.


Quatrième direction - et je ne saurais trop insister sur ce point : la vie des affaires.

Du fait du poids de notre pays - qui malgré sa sinistrose coutumière et tous les doutes qui le pénètrent aujourd’hui, reste la cinquième puissance industrielle du monde - et du poids de l’existence d’une zone francophone en dehors de nos frontières, le français est l’une des langues alternatives à l’anglais dans la vie économique. L’essor du continent africain lui offre l’opportunité de conforter cette position - plus de 70 % des Sud-Africains ou des Chinois qui apprennent aujourd’hui le français le feraient en effet pour développer des relations avec l’Afrique francophone.

Nous disposons de plusieurs leviers pour avancer en ce sens :

La formation des cadres d’entreprise, d’abord. Nous devons pouvoir mieux former les futurs décideurs économiques étrangers, non seulement dans nos écoles en France, mais aussi chez eux, en proposant des formations totalement ou partiellement en français. À cet égard, je voudrais rendre hommage au travail remarquable de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, qui a créé des écoles de commerce au Liban, au Vietnam, en Algérie ou en Afrique du sud. Je voudrais également saluer l’attractivité de nos grandes écoles de commerce. La France doit continuer à contribuer à la formation des élites économiques mondiales. C’est l’intérêt de notre commerce extérieur. C’est aussi celui de notre langue.

Deuxième levier : les certifications de français dans les affaires. Elles existent et doivent être développées. Notre réseau, qui doit aussi enseigner le français économique, doit y concourir.

Au-delà de ces leviers, nous devons aussi défendre le multilinguisme dans les entreprises, où il permet de faciliter la compréhension entre les individus. Nous devons notamment inciter les firmes multinationales françaises à utiliser notre langue, en faisant connaître les bonnes pratiques, en conseillant les entreprises et en les aidant à mettre en place des formations, comme celles que Peugeot propose à ses employés de Slovaquie avec le soutien de notre réseau culturel.


Cinquième direction enfin et non la moindre : Internet. C’est un enjeu considérable. Je me réjouis que vous ayez prévu d’y consacrer une table ronde cet après-midi.

Internet constitue à l’évidence un instrument extraordinaire pour l’enseignement des langues. C’est dans cet esprit que nous soutenons le développement d’outils numériques permettant d’apprendre le français et de suivre des enseignements à distance dans notre langue, mais aussi les réseaux sociaux, qui donnent aux professeurs de français la possibilité de se retrouver sur la toile.

Au-delà de l’apprentissage de la langue, Internet offre l’opportunité d’accéder gratuitement à des contenus de langue française. Je pense par exemple aux efforts de numérisation engagés par l’Institut national de l’audiovisuel ou la Bibliothèque nationale de France - la bibliothèque numérique patrimoniale de langue française, « Gallica », propose ainsi plus d’un demi million de documents en libre accès sur son site.

Nous devons nous mobiliser pour promouvoir la présence du français sur Internet, qui est, nous le savons tous, le lieu d’expression privilégié de notre jeunesse. À nous d’en faire une espace à l’image du monde que nous appelons de nos vœux : un monde où les cultures dialoguent au lieu de se replier sur soi, un monde où les identités s’ouvrent les unes aux autres pour mieux se renforcer ; un monde où la diversité linguistique concourt à ce pluralisme des opinions, des expériences et de la pensée qui est le fondement de notre liberté et de notre autonomie. N’ayons pas peur de la mondialisation, c’est une formidable chance à saisir.


Mesdames et Messieurs,

Dans Éthiopiques, Léopold Sédar Senghor écrivait : « Le français, ce sont les grandes orgues qui se prêtent à tous les timbres, à tous les effets, des douceurs les plus suaves aux fulgurances de l’orage ».

Au-delà de la politique, de l’économie et de la vie quotidienne, n’oublions jamais que promouvoir le français, c’est aussi ré-enchanter le monde. C’est faire vivre une langue d’une infinie richesse où se mêlent la langueur des nuits africaines, la fougue de la jeunesse arabe, la chaleur de la Caraïbe, une langue où se conjuguent la majesté des anciens et l’audace des modernes, la logique des penseurs et la fantaisie des poètes, la rigueur de la théorie et la beauté du verbe, bref une langue que nous aimons.

C’est votre mission quotidienne et vous avez bien de la chance. Merci de votre attention.



Les thèmes des débats et tables rondes du 19 octobre 2011

Les thèmes des débats et tables rondes du 20 octobre 2011