Laos : un programme innovant


Les classes bilingues lao-français, qui ont maintenant dix ans, sont largement soutenues par les instances francophones. Le gouvernement du Laos s’engage résolument à poursuivre ce programme, dans le cadre d’une démarche générale d’appropriation.

Version intégrale dans Le Français dans le Monde - Mai-juin 2005 - N°339

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Jusqu'en 1975, la France occupe une place de premier plan dans le domaine de l'éducation au Laos puisque l’ensemble du cursus au niveau du secondaire est encore assuré en français. La révolution porte un coup d’arrêt brutal aux échanges entre les deux pays, entraînant une rupture totale avec la langue française. Il faudra attendre 1986 pour que le pays renoue avec la France et qu’une nouvelle coopération franco-laotienne se mette en place dans le cadre de l'aide au développement.

Dans ce contexte, l’ambassade de France au Laos inaugure en 1995, à Vientiane, capitale du pays, les premières classes bilingues franco-laotiennes. En 1997, suite à une forte demande nationale, l’Agence universitaire de la francophonie s’engage à soutenir l’enseignement bilingue dans trois autres villes importantes du pays : Luang Prabang, Savannakhet et Paksé.

La situation actuelle des classes bilingues

Le programme des classes bilingues dispense une formation de qualité, répondant à des critères d’excellence. Il a pour vocation de former en français une partie des futurs cadres des administrations et du secteur privé, capables de travailler aussi bien dans le domaine économique que technique. Pour l’année scolaire 2004-2005, les treize établissements publics du Laos accueillent quatre-vingt-dix-neuf classes bilingues. Ils sont dotés d’un espace documentaire francophone permettant à tous les élèves un accès aux livres et aux moyens de communication, comme l’intranet.

D’ici 2006, le programme, qui comptera cent huit classes et 3130 élèves, aura atteint sa vitesse de croisière et verra la sortie de 240 bacheliers par an.

Le cursus bilingue est proposé aux élèves dès la troisième année du cycle primaire selon le tableau 2, ci-dessous :

Cycle primaire Contenu de formation
1ère année
2ème année
Cursus national
3ème année 9 heures de français + 1h d’initiation aux mathématiques
4ème et 5ème année 9 heures de français + 3 heures de mathématiques
Cycle secondaire
Collège (trois années) Enseignement scientifique en français + 9 heures de français / semaine
Lycée (trois années) Enseignement scientifique en français + 6 heures de français / semaine
Baccalauréat (juin)
Concours universitaire (juillet)

Tableau 2 : Contenu des formations des classes bilingues au Laos

Un enseignement intensif et sélectif

L’enseignement du français dans le cycle primaire est intensif afin que les élèves parviennent à maîtriser rapidement la langue pour un apprentissage des sciences. Les enseignements conduits en français se substituent aux enseignements dans la langue nationale. Ainsi un élève du cycle secondaire des classes bilingues suivra un cursus de mathématiques, biologie, physique et chimie en français, tandis que l’enseignement des autres disciplines sera assuré en lao. Rappelons que les programmes nationaux sont respectés dans leur intégralité. À chaque fin de cycle, les élèves des classes bilingues sont sélectionnés par concours, ce qui assure l’excellence du cursus (cf. tableau 3). Les épreuves scientifiques de ces concours (y compris celles du baccalauréat) sont identiques à celles du concours national, mais traduites en français. À ces épreuves est ajoutée une épreuve de langue française.

ENTREE (8 ans) : Concours /120 élèves sélectionnés /province
FIN PRIMAIRE : Concours / 90 élèves sélectionnés/ province
FIN COLLEGE : Concours / 60 élèves sélectionnés/ province

Tableau 3 : Étapes et quotas de sélection

Les élèves du cursus bilingue réussissant aux concours obtiennent des diplômes de fin de cycle reconnus au niveau national. Les élèves en situation d’échec reçoivent une attestation qui mentionne les heures d’apprentissage, du et en français, suivies au cours de leur cursus et rejoignent les classes du système national.

Pour ce qui concerne le baccalauréat, l’épreuve de français est validée par le passage des unités A1 et A2 du DELF scolaire, permettant ainsi l’obtention d’un diplôme reconnu au niveau international. Dès la première classe de lycée, des cours préparant au DELF sont mis en œuvre et les élèves de lycée sont incités à s’inscrire aux épreuves du DELF chaque année. En juin 2004, 100 % des bacheliers de la première promotion ont passé avec succès leur baccalauréat, 73 % ont obtenu le DELF scolaire 1er degré et 50 % le second. Si, au Laos, le taux de réussite au baccalauréat est très élevé, il n’en est pas de même pour le concours d’entrée à l’université. Ainsi, en 2004, la première promotion de bacheliers francophones a vu 42 % de ses effectifs réussir ce concours et choisir la section de leur choix, à savoir une classe à projet consistant dans une formation préparatoire d’un an, qui permet aux meilleurs d’accéder aux études supérieures en France. Pour indication, au niveau national, moins de 20 % des élèves accèdent aux études post-bac. Par ailleurs, 6 % des étudiants de cette même promotion intègrent différentes filières ou écoles sur quota. Quant aux autres étudiants, une partie est incorporée au département de français en 2e année.

Vers une démarche « d’appropriation »

En 2005, les conventions relatives aux classes bilingues du Laos arrivent à échéance. Avec elles, les sources de financement externes. Le ministère de l’Éducation laotien, conscient de la pertinence du programme, en a décidé la poursuite et s’est donc engagé dans une démarche constructive d’appropriation. Pour ce faire, un bilan doit être établi au niveau national et de nouvelles perspectives étudiées, avec l’appui de l’ambassade de France et de l’Agence universitaire de la francophonie, afin de renforcer la place du français au Laos.

Alors que la mise en place de ce programme arrive à son terme, un ensemble de performances et d’acquis lui sont reconnus, qu’il est nécessaire de valoriser et de pérenniser. Si les classes bilingues sont perçues comme un cursus de qualité, ceci est dû :
- à la formation continue des professeurs : de nombreuses actions de formation sont mises en œuvre pendant l’année sur chaque site, ainsi qu’un groupement annuel à Vientiane permettant le partage des expériences et un développement cohérent des compétences ;
- à un appui permanent auprès des conseillers nationaux et des assistants pédagogiques provinciaux : organisation de séminaires biannuels, missions sur site… ;
- aux conditions matérielles d’enseignement : effectif réduit (maximum de 30 élèves par classe), locaux rénovés et équipés (y compris bibliothèques, vidéothèques et laboratoires) ;
- à la qualité des supports pédagogiques adaptés aux programmes nationaux (conception locale d’outils et de manuels, achat de matériel, mise à disposition de livres…).

Au niveau décisionnel, les autorités laotiennes ont toujours eu leur rôle à jouer, puisque les orientations du projet sont discutées de manière collégiale au sein d’un comité de pilotage national tripartite : représentation nationale constituée de membres de la direction générale de l’enseignement, de l’institut national de recherche en sciences de l’Éducation, du département de la formation des maîtres et de la faculté de l’Éducation ; ambassade de France ; agence universitaire de la francophonie (AUF).

Un coordinateur national a été nommé en tant qu’homologue du chef de projet AUF. La démarche d’appropriation du projet s’est engagée progressivement et de manière satisfaisante sur les plans suivants :
- institutionnel : reconnaissance des diplômes du cursus bilingue, homologation des programmes et des référentiels bilingues par une commission pédagogique nationale…
- pédagogique : organisation cohérente des épreuves en français pour les différents concours, participation à l’élaboration des plans de formations…
- financier : prise en charge des salaires du personnel fonctionnaire des classes bilingues, titularisation des nouveaux enseignants formés pour les classes bilingues, mise à disposition de locaux…
- sociétal : reconnaissance du cursus par les différents partenaires sociaux.

Les conditions d’une appropriation durable

En 2003 et 2004, l’AUF a organisé avec les représentants officiels des pays d’accueil de ce programme (Laos, Cambodge, Vietnam, Moldavie, Vanuatu), ceux de la France, ceux des autres contributeurs (coopération Wallonie-Bruxelles, Agence intergouvernementale de la Francophonie), une série de concertations sur les conditions d’une appropriation durable de l’enseignement bilingue. À l’issue de ces rencontres, le Laos a décidé de constituer une commission exceptionnelle, dans le but de définir les différentes étapes devant aboutir à l’appropriation définitive du projet.

S’il est envisageable aujourd’hui qu’une prise en charge se fasse par le ministère laotien sur de nombreux volets, il n’en reste pas moins qu’il apparaît nécessaire de poursuivre les appuis dans trois domaines majeurs : la formation scientifique des enseignants, le renforcement de leurs compétences en français, la conception et la dotation pédagogiques. Et ce, dans un cadre régional favorisant la mutualisation des expériences.

Solène Diquélou, Chef de projet, AUF, et Richard Canal, Responsable d’antenne au Laos, AUF