La lettre de l'ASDIFLE
 
Numéro 5 - Eté 2007 Pour imprimer

Notes sur le septième colloque de
l’Université de Technologie de Compiègne : Usages des Nouvelles Technologies dans l’Enseignement des Langues Étrangères

UNTELE les 29 - 31 mars 2007

par Josette Girard-Virasolvit

Le septième colloque de l’Université de Technologie de Compiègne sur les Usages des Nouvelles Technologies dans l’Enseignement des langues Étrangères posait deux questions principales :

Les communications portaient sur :

  1. les études sur la communication transculturelle à l’aide des TIC ;
  2. l’acquisition des langues étrangères / secondes par le biais de la communication transculturelle.
  3. la conception d’outils, quelle utilisation ? Perspectives théoriques, quel rôle pour quel outil ?

1. - Une plénière très remarquée fut celle de Claire KRAMSCH, Berkeley, USA :

sur le thème de : la compétence symbolique, la dimension négligée de la communication interculturelle.

Partant du concept de « compétence culturelle symbolique », Claire Kramsch nous invite à réfléchir sur cette nouvelle posture dans l’utilisation de la langue de communication, l’acquisition langues-cultures.

Dans un monde multilingue, la compétence à maîtriser, au-delà de la compétence linguistique et de la compétence interculturelle, est celle qu’elle nomme « compétence symbolique », partant de l’idée que ce serait une attitude réductrice, une faiblesse de ne voir dans la culture qu’une caractéristique nationale permanente, un danger de collectivisme marginalisant.

Les cultures ont tendance à se globaliser, se déterritorialiser, la culture populaire est globalisée, portable et hybride, un lien de mémoire transportable partout.

Dans la communication au quotidien « la compétence symbolique » c’est le plaisir partagé de l’échange langagier, la légèreté des mots plus que la simple transmission d’informations.

Il s’agit de suppléer la compétence de communication et l’interculturel par le raisonnement sur la valeur de certains mots, la capacité relationnelle dans sa manière de signifier le monde imprévisible dans ses effets.

Nous jouons sur les mots, l’émotion qu’ils véhiculent en langue maternelle, alors que l’apprentissage académique d’une langue est plutôt basé sur l’autorité, celle des enseignants, ne laissant aucune place à cette émotion.

Dans l’apprentissage doit être ménagée une place pour que cette émotion surgisse, soit perçue, une place pour le ludique dans les actions de communication. Devenir capable de manipuler ainsi la langue, cela doit être pris en compte dans l’enseignement et la formation des professeurs !


2. - De nombreux intervenants ont présenté les dispositifs utilisés pour favoriser la communication transculturelle et la formation des enseignants :

En voici quelques exemples :

Tim LEWIS, Elodie VIALLETON, The Open University, Milton Keynes, UK dans le cadre d’un dispositif d’enseignement/apprentissage à distance :

http://creet.open.ac.uk/staff-profiles/index.cfm?staff_id=1376625  

Le projet Tridem entre The Open University (UK), Carnegie Mellau University (USA) et l’Université de Franche-Comté (France) utilise divers outils en ligne pour mettre en relation des étudiants dans le monde entier. L’environnement d’apprentissage se compose d’outils synchrones permettant de travailler sur des tâches spécifiques tels que des blogs pour des échanges asynchrones, des conférences audio sous forme de classes virtuelles, des documents partagés, un tableau blanc, un chat, des tuteurs.

– Le travail est basé sur la collaboration, la négociation, chacun épaulant l’autre et étant accompagné par le tuteur.

Trois thèmes ont été proposés pour ces échanges : l’identité, l’immigration, la liberté. Des tâches sont proposées, comme se référer à des textes fondateurs (la déclaration des droits de l’homme par exemple), s’approprier et perfectionner le lexique de la négociation, de l’argumentation, se corriger et tenter de s’évaluer mutuellement, se diriger vers une définition commune finale clôturant les débats.

– l’évaluation du projet :

Les blogs ont trop souvent été des monologues parallèles, sans réelle interaction ni correction mutuelle des erreurs. Le fait qu’il n’y ait pas de certification à l’appui de cet entraînement peut expliquer le manque de motivation, un projet commun porté par le groupe.

À partir de cette expérimentation, il faudrait imaginer un dispositif plus flexible et des raisons de motivation plus grandes.

Sharon SCINICARIELLO, Université de Richmond, USA

L’utilisation des Podcasts dans l’intégration de la culture

Ce nouvel outil est un moyen d’intégrer des aspects culturels dans l’apprentissage d’une langue étrangère en proposant aux étudiants une sorte d’immersion qu’ils ne peuvent avoir dans leur environnement habituel. Cela leur donne l’occasion de se frotter à une diversité de contenus, de voix, d’accents, d’opinions.

L’outil I pod permet l’accès à la duplication, à la mobilité de contenus culturels alors qu’habituellement les étudiants ne l’utilisent que pour écouter de la musique.

– Le programme : les étudiants ont leur podcast à écouter, l’enseignant a préchargé un certain nombre de données. En classe, ils ont des activités qui ont pour support les contenus écoutés, des activités sur la langue, la compréhension, l’analyse des points de vue. Pour les activités de négociation des scénarios leur sont proposés, par exemple commencer par écouter un discours syndical en français pour étudier d’abord le style, la manière dont ils s’expriment etc.

Les étudiants échangent par blogs créant une communauté de discussion sur un des thèmes proposés.

– Évaluation du produit :

Les podcast permettent aux étudiants une immersion dans un sujet spécifique avec des contenus culturels variés, actualisés.

Ce système encourage la spontanéité, étoffe la qualité de la discussion en classe.

Il est possible d’évaluer ces productions mais l’expérience montre qu’il ne faut pas faire un seul projet autour du podcast mais plutôt en faire une partie d’un ensemble d’apprentissage plus vaste.

Raphael CRISO, Terri JORDON, Philomena MEECHAN, Université du Michigan, Ann Arbor, USA

"Can you hear me now?" Comment analyser la perception qu’ont les étudiants de la communication transculturelle ? L’utilisation de la visioconférence.

Chaque mercredi ces étudiants et un groupe d’étudiants français se donnent rendez-vous pour une visioconférence. Des activités d’échauffement d’expression orale sont prévues avant la conférence, une thématique est à l’ordre du jour, des échanges méls ont permis une première approche du thème, comme par exemple la comparaison de systèmes éducatifs, ceci avant l’échange en direct. Lors des échanges, chacun s’exprime dans la langue étrangère.

Après la visioconférence les étudiants, de part et d’autre, sont invités à co-construire ce qu’ils ont expérimenté et appris pendant la visioconférence, la manière dont ils ont vécu ce moment. Par exemple une série d’adjectifs leur est donnée, ils choisissent une couleur pour ce qui est du positif et une autre couleur pour ce qui est du négatif. Ils peuvent ajouter leurs propres adjectifs.

-Evaluation de ce dispositif :

Les étudiants appréhendent la prise de risque de la communication dans la langue étrangère. Il leur est très difficile d’analyser ce qui s’est passé sur le plan linguistique une fois la visioconférence terminée. Chacun demande à parler avec la même personne que la fois précédente pour ne pas avoir a nouveau à construire l’échange de présentation et de prise de connaissance. Ils pensent que sans la vidéo ce serait plus simple car ils n’auraient pas en plus à penser à contrôler leurs attitudes et mimiques.

La prise de risque réduit le bénéfice de l’échange.

L’enseignant, lui, y voit un formidable moyen de « rétrécir l’univers », de construire et de maintenir des relations avant et après des voyages et des rencontres.

Les difficultés techniques de type protection puissantes, par les pare-feu des écoles respectives, ont parfois bloqué les échanges.

Présentation d’un portail pour la formation des élèves professeurs par A.L.M. KOENRAAD de l’université d’Utrecht

Le projet MiCall "Moderating Intercultural collaboration and Language learning" www.micall.net met l’accent sur le fait que l’approche enseignante, particulièrement avec des outils multimédias, relève de la communication interculturelle, du travail sous une forme non linéaire, différente de la manière à laquelle beaucoup d’enseignants sont habitués et ont été formés. Pour illustrer cela l’expression "homo-zapiens" a été créée, faisant référence aux capacités des plus jeunes.

Les jeunes apprennent différemment. Ils sont multitâches, ont une approche qui n’est pas linéaire, ont des capacités visuelles plus que de lecture, sont connectés, c’est-à-dire pas seuls. Les contenus ne proviennent plus d’une seule source, le livre mais d’internet et le choix très vaste qu’il offre.

Que faire face à ces deux types de formations ?

Si c’est l’apprenant qui « conduit » quel est alors le rôle de l’enseignant ? Et, par-dessus tout, comment aider les futurs enseignants à repérer ce qui est important sur internet et quels outils choisir.

Le portail CALL est une ressource gratuite pour les futurs enseignants, il leur suffit de se connecter. Tout est sur le bureau : la page du site, les documents multimédias (comment ajouter une image etc.), les forums, des critères de sélection du matériel, blogs, wiki.

Un point important est de savoir comment choisir tel ou tel outil. Par exemple pour que le groupe d’apprenants puisse échanger sur une activité, il est mieux de choisir le tableau blanc ; pour un thème de discussion tel que « les événements de la semaine » il est préférable d’échanger sur un blog, pour un thème comme « notre pays » faire une recherche sur la toile pour communiquer et négocier, puis faire des groupes de discussion par équipe.

Ces choix relèvent de la compétence de l’enseignant. Il doit être capable de créer en permanence n’ayant pas d’ouvrage sur lequel s’appuyer. Il doit ainsi apprendre à négocier, expliciter, répondre par mél rapidement, tout en développant des relations stables avec les apprenants. Les futurs enseignants doivent s’entraîner à acquérir ces nouvelles compétences.

Michael BUSH, Brigham Young University, Provo, UTAH, USA, Managing Online Learning for Improved Student learning Outcomes

Michael Bush au cours de sa présentation « Une nouvelle didactique pour une nouvelle sorte de professeurs ? » fait prendre conscience du fait qu’il est très déprimant de voir que Comenius, en 1649, avait déjà écrit ce qu’a repris toute la didactique moderne ! Piaget dit de lui qu’il a été « le premier à concevoir les sciences de l’éducation dans leur ensemble ».

Qu’apportent alors les ordinateurs ? Les enseignants ne sont plus les seuls détenteurs du savoir et de l’information. Ils sont des guides, ils stimulent, motivent, évaluent, personnalisent et contextualisent. Ils n’ont plus le rôle principal, mais aident, accompagnent l’apprenant dans l’analyse de ses besoins, dans le choix des supports et des outils afin que l’apprentissage soit efficace et attrayant.

– Une autre question à se poser est celle du choix des plateformes : par exemple, celles choisies il y a quatre ou cinq ans, sont-elles encore opérationnelles ? Beaucoup de systèmes ont été achetés à grands frais, en particulier des systèmes auteurs qui ne sont pas ou plus compatibles. Michael Bush insiste sur l’importance des standards et de leur compatibilité entre eux (scorm) et pense qu’il est préférable dans ces choix, de lutter contre l’envie de créer son propre univers qui ne sera plus rentable et plus compatible rapidement. Nous devons faire nos choix en fonction de recyclages techniques futurs, se garder la possibilité de naviguer entre plateformes.

Gilberte FURSTENBERG France, Kathryn ENGLISH, M.I.T. Cambridge, MA, USA

La communication interculturelle en ligne et la négociation des valeurs

http://web.mit.edu/french/culturaNEH/cultura/indexfrench.html

Gilberte Furstenberg et Kathryn English présentent la genèse, la méthodologie, l’approche et les contenus du programme interculturel permettant à deux classes de communiquer, une partie étant en présentiel, une partie en ligne.

Il s’agit de négocier les valeurs entre la France et les États-Unis, valeurs convergentes et divergentes, négocier pour éviter la rupture. Mais peut-on négocier les valeurs car c’est l’identité, la référence à son groupe ? Comment se positionner par rapport au groupe car nos valeurs sont individuelles mais aussi appartiennent au groupe ? Comment voir la perception du problème, car les enjeux sont élevés ? L’objectif est d’apprendre à ces étudiants à communiquer, interagir (prérogatives du cadre européen), à comprendre les valeurs, croyances, représentations (dimension invisible de la culture, voir Hall).

– Le dispositif :

Dans ces cours de la langue, la culture sont mises au centre du projet. Chacun s’exprime dans sa langue, avec un temps de réflexion.

Le dispositif de mise en relation et un espace web : les étudiants préparent chez eux, en parlent ensemble ensuite. L’Internet est donc facilitateur de rencontres. Mais le professeur ne connaît pas son cours avant d’y aller, les étudiants présentant leurs lectures une ou deux heures avant l’échange en ligne.

C’est l’approche comparative qui est utilisée : analyse des documents de part et d’autre.

Le site est le point de départ : un questionnaire est proposé aux étudiants avec association de mots… par exemple : le mot « individualisme » ou « politesse ». Par exemple : définition d’un bon voisin ; une situation : « vous voyez un étudiant tricher ».

Le site culturel propose un itinéraire à faire ensemble, des extraits de film, des journaux et des accès à des sites, des textes historiques.

Les étudiants choisissent un événement et on travaille sur la manière dont c’est interprété. Par exemple : comparer le film « Trois hommes et un couffin » dans leurs réalisations française et américaine. Il s’agit ensuite de négocier. Qu’est-ce qu’on découvre d’un côté, qu’est-ce qu’on ne voit pas de l’autre ?

Le processus est alors de négociation et de construction.

Les étudiants lisent leurs échanges et formulent des hypothèses pour voir ce qui est divergeant ou convergent, c’est un questionnement permanent, des tentatives de synthèses spontanées et les textes historiques peuvent les valider.

Ce qui est important, c’est qu’ils établissent une relation. On ne peut changer les valeurs, on peut les appréhender, les comprendre, on ne les partage pas et donc il faut continuer à dialoguer.

Le choix de la langue maternelle pour les deux équipes dans les échanges permet d’utiliser une langue authentique, d’aujourd’hui, c’est une question d’intimité : ainsi on touche aux valeurs et on est touché. L’apprentissage est centré sur le culturel et non sur le linguistique.

– Il faut, malgré tout, être conscient du problème des biais : par exemple : les Français disent-ils ce qu’ils pensent en société ? La politesse française est plus sociale, avec respect des usages alors que du côté des États-Unis elle est plus individuelle, plus affective.


3.- Conclusion

La dominante de ces interventions sur la communication transculturelle a donc porté sur les influences des supports technologiques et des dispositifs en réseau dans l’appréhension des cultures des langues secondes/étrangères, leur intégration dans la formation de professeurs et peu sur l’apprentissage de la langue elle-même.

Les dispositifs présentés s’adressaient généralement à des apprenants de niveau avancé, le choix étant souvent fait de la communication, du travail coopératif des groupes dans la langue maternelle de chacun, même si dans les dispositifs présentés, les compétences de l’écrit devaient être d’un niveau assez avancé dans la langue étrangère.

On pourrait presque se permettre d’inverser la question de départ du thème du colloque « la communication transculturelle favorise-t-elle l’acquisition des langues étrangères / secondes ? » et dire que l’acquisition des langues étrangères/secondes est un terrain fertile favorisant, sensibilisant à la communication transculturelle en général, si on met en place des dispositifs tels que ceux décrits ici.

Josette Girard-Virasolvit
Directrice pédagogique
Concours enseignants de langues
Trésorière-adjointe de l’ASDIFLE