La lettre de l'ASDIFLE
  Numéro 4 - Janvier 2007

Feuilleton didactique n° 4

Certification et Commission : pour quels professeurs de FLE ?

par Régine DAUTRY
Docteur en Sciences de l’éducation


Il y a deux sortes de professeurs de FLE : les Bons et les Élus.

Les premiers, ceux du deuxième millénaire, sont les Bons : ils ont des licences, des maîtrises, des doctorats, ils ont voyagé, ont été attachés linguistiques, coopérants, ont passé les concours nationaux, ont enseigné le FLE et le FLS, ont formé des professeurs. Ils ont des diplômes universitaires et de l’expérience professionnelle, ils ont suivi des stages courts et des stages longs. Certains même appartiennent à l’ASDIFLE, c’est dire...

Les seconds, ceux du troisième millénaire, sont les Élus. Peu importe qu’ils soient ou non les mêmes que les Bons, leur valeur est ailleurs, dans un détail qui fait toute la différence : ils ont la Certification 1. La Certification est requise pour enseigner le FLE/FLS dans une classe gérée par le CASNAV 2 . Si vous voulez l'obtenir, voici comment faire : ne courez ni les universités ni les centres de langue, mais postulez courez ni les universités ni les centres de langue, mais postulez sur un poste spécifique FLE et attendez la convocation du Rectorat vous enjoignant de vous présenter devant la Commission chargée d’examiner vos compétences.

Le grand jour arrive, les candidats se pressent, la Commission lustre ses lorgnons de certificateurs « spécialistes » et s’enquiert auprès du premier candidat médusé :

- Monsieur, vous avez souhaité participer à l’intégration d’ENAF 3, comment situez-vous vos motivations impliquant la prise en compte des référents culturels de chacun d’une part, du Cadre européen de référence d’autre part ?

- Vous pouvez répéter la question ?

- Avez-vous pris connaissance du Cadre européen commun de référence pour les langues 4, le Livre rouge, Monsieur !!!

- Ah, ah, ricane le candidat docteur ès-lettres du second millénaire, le Petit Livre Rouge ? Vous parlez si je connais ! J’ai appris à lire avec ! Je suis né en 1968, moi !

Le silence de mort qui suit dit assez que ce candidat n’aura pas la Certification.

Le suivant non plus d’ailleurs. On lui pose la question « Que savez-vous du CASNAV ? » et il a le malheur de demander où est passé le terme de « formation » dans le passage du sigle CEFISEM à celui de CASNAV 5. On lui conseille de ne plus revenir.

Le troisième, agrégé, en a vu d’autres auprès de jurys de diplômes nationaux et ne craint rien, même pas les pièges du style « La Certification, c’est quoi pour vous ? » Il feint de s’embrouiller lamentablement dans les concours nationaux et les statuts6 et pose sournoisement un problème logico-mathématique : « Si tout professeur ayant la certification est certifié, je serai certifié bien qu’étant agrégé si vous me donnez la certification ? » Son audace déplaît.

Le quatrième, didacticien, tente de convaincre la Commission d’un problème de fond qui la dépasse et l’effare. Ce Spécialiste du FLE dans le système éducatif français a passé des années à expliquer aux universitaires étrangers qu’il ne fallait pas confondre le français langue seconde (FLS) avec les langues vivantes 1 et 2 (LV1 et LV2), que ce n’était pas du tout la même chose et qu’à partir du second cycle du secondaire, le FLS passant au rang de « français » tout simplement, c’est la langue maternelle du migrant qui devient LV1 ou LV2. C’est pourtant simple, mais il est renvoyé au MAE7.

Le prof élu est plus malin. Il a, certes, des motivations et se repère dans les 191 pages du Livre rouge à bande verte. Mais surtout, il ne pose pas de question, ne s’interroge pas, ne parle pas d'expérience à l’étranger, non plus que de formation ou de stages longs. Il ménage la Commission, oublie la didactique, et s’abstient d’ailleurs de prononcer les mots FLE ou ENAF3. Enfin, il ne s’étonne de rien. Ni de la Certification, ni de la Commission.

Je vous ai tout dit. Vous les Bons, si vous voulez être les Élus, suivez mes conseils ou bien racontez-nous comment vous faites.


1. Note de service n° 2004-175 du 19/10/2004 (B. O. n° 39 du 28/10/2004). Voir IV : Structure de l’examen (article 5 de l’arrêté du 23/12/2003 modifié par l’arrêté du 9/03/2004) et V : Admission et délivrance de la certification.

2. Le CASNAV (Centre académique pour la scolarisation des nouveaux arrivants et des enfants du voyage) gère les classes d’accueil (CLA) dans le secondaire et les classes d’initiation (CLIN) dans le primaire. Cf. le B.O. spécial n° 10 du 25/04/2002 consacré à la scolarisation des migrants.

3. ENAF : élèves nouvellement arrivés en France. Depuis le même BO spécial, ce terme s’est substitué à ENF : élèves non francophones.

4. Conseil de l’Europe, Cadre européen commun de référence pour les langues, Didier, Paris, 2001.

5. Le passage du terme de CEFISEM (Centre de formation et d’information pour la scolarisation des migrants) à celui de CASNAV a été imposé par le B.O. cité à la note 3.

6. Il s’agit des deux concours de recrutement pour le secondaire en France : le CAPES (Concours d’aptitude à l’enseignement du second degré) confère le titre de « certifié », l’agrégation celui d’« agrégé ».

7. Ministère des Affaires étrangères.