La Lettre de l’ASDIFLE
N° 11 - juin 2011


L’avenir d’une idée neuve : le FLE, et ses avatars monochromes, FLS, FLS-sco, FOS

Marie Berchoud
Professeur en sciences du langage et didactique du FLE

La reconnaissance de la didactique du FLE à la suite des travaux de la commission Auba, concrétisée en particulier par le diplôme universitaire de maîtrise FLE et la mention FLE des licences de lettres et langues en 1983, mais aussi la création du DELF et du DALF, tout cela a pu sembler un acquis consacrant plus de deux décennies de travaux universitaires, d’expérimentations pédagogiques et didactiques. Mais cette consécration fut sans doute vécue comme dérangeante : elle requérait des praticiens une ouverture d’esprit et de cœur par-delà les routines et les peurs, ce qui les plaçait souvent de biais par rapport aux hiérarchies instituées ; elle conviait les universitaires à une culture disciplinaire large, pouvant associer l’analyse de politiques linguistiques, à l’analyse des besoins des publics d’apprenants, à l’analyse de discours ou à l’analyse morpho-syntaxique, et même contrastive (mais en ne se limitant pas à la centration sur la langue) pour développer une élaboration didactique. C’était aller contre la tradition hiérarchique serrée de l’éducation nationale et contre celle du chercheur monovalent si «pointu » et savant qu’il en perd de vue autrui en se perdant lui-même dans l’océan de son savoir acquis. Ces deux traditions coexistant bien, au fond, puisque chacune affectait d’ignorer l’autre si du moins cet autre respectait son pré carré.

Mais alors le FLE, la didactique du FLE ! Jusqu’à ce jour, les personnes autorisées plaçaient la langue française au-dessus des sordides différenciations liées aux conditions d’acquisition ou d’apprentissage et sommaient (plus ou moins) aimablement le locuteur cherchant à apprendre, de « suivre » tout simplement, et cela quelles que soient sa langue première ou les complexités de son répertoire verbal et de sa biographie langagière. Ainsi, plus on était proche du centre de la constellation « langue française », et mieux on était considéré. Au fait, pourquoi parler au passé ?

Heureusement, moins de dix années après cette consécration du FLE, la réaction vint avec l’invention fort à propos du FLS et du FLS-sco (français langue seconde, si difficile à saisir pour les étrangers, français langue d’enseignement ou de scolarisation). Elle fut couronnée de succès car elle répondait à une peur de l’élite médiane de la profession enseignante, celle qui a une petite part de pouvoir et craint d’en perdre la maîtrise. Pourtant le FLE dans son extension assumée englobe aussi le français langue de l’école, et convie à en analyser les conditions réelles d’apprentissage voire d’acquisition (le FLM, français langue de la maison, a parfois peu à voir avec le français langue de l’école). Dangereux, tout cela. Le FLS et le FLS-sco (pour : scolaire) ont donc permis de désamorcer le potentiel d’innovation du FLE en faisant rentrer dans le rang avec le FLS une notion appauvrie, aplatie et sans équivalent hors de France. Ils ont également permis de stopper l’entrée du FLE dans les domaines de la difficulté scolaire tout en développant une didactique du français (langue dite ou présumée maternelle) fortement liée aux instances de l’éducation nationale. Enfin, une certification rectorale fut créée. J’y participe (mieux vaut pouvoir donner un avis, n’est-ce pas) et je peux entendre alors l’exposé de parcours enseignants excellents, et d’autres totalement manipulés pour l’occasion. Tout cela : FLS, français langue sage ou à l’air sage.

Vous direz : et le FLE, alors, il est sans reproche ? Avec la mastérisation issue du processus de Bologne, depuis une dizaine d’années tout le monde peut affirmer qu’il fait du FLE même s’il n’a jamais vu une classe d’apprenants non francophones, même s’il n’y connaît rien ; il connaît, il a à vendre des choses tellement plus importantes (sa spécialité) et il a des connaissances pour le lui permettre. Les étudiants ? Qui n’apprennent rien ? Mais enfin, on devrait s’en préoccuper ? Quelle régression ! Je plaisante à peine, voire pas du tout (pour certains cas). Cela dit sans vouloir attrister le lecteur. Au contraire, il s’agit de relever le défi de renouvellement du FLE, de déploiement de ses possibilités.

Une autre source de contention du FLE et de son potentiel est la redécouverte fort à propos du plurilinguisme. Pourtant, s’intituler FLE c’est, du même élan vocal, dire qu’on se situe dans, qu’on réfléchit sur un contexte ou des contextes plurilingues. Et que dans ces contextes on n’est pas forcément au centre. Mais avec, mais parmi d’autres. On dira que ça permet de reformuler plus finement les problématiques… et en particulier de penser la coordination de didactiques et d’évaluations concernant plusieurs langues vécues, apprises ensemble.

Quant au FOS, avec un F comme filon (aurifère) : peut-on donc imaginer la mondialisation sans l’arme linguistique et sans les formations et les certifications coûteuses qui vont avec ? Plus vous créez de spécialités et plus vous créez de spécialistes et, c’est bien connu, un spécialiste (même autoproclamé) pèse plus lourd qu’un généraliste FLE lesté d’expérience, de lectures, de réflexion, de voyages et d’études. Surtout, il fait bien plus sérieux ! Je ne suis pas étiquetée FOS pourtant j’en ai fait beaucoup, avec ma formation sciences du langage et FLE et ma formation Sciences Po, et mes étudiants de l’université Paris-II apprenaient bien, et je savais analyser leurs besoins, choisir des textes, des scénarios, des progressions, dans le cadre de relations ouvertes et confiantes. Cela dit, je tempère le propos : il faut que le praticien et le chercheur en didactique du FLE sachent ce que c’est qu’une entreprise, aient déjà travaillé dans des milieux divers pour réussir à faire progresser des apprenants de français langue étrangère en discours spécialisés et les mener à savoir s’orienter et se comporter dans les contextes de ces discours. En bref, le FOS peut tourner court assez vite, mais en attendant, il propose des savoir-faire en kit.

Alors, l’avenir du FLE : derrière lui ? L’idée neuve a vieilli, a mûri ou a flétri ? Je dirai que l’idée neuve a été prise en otage sur le mode du consensus implicite de plusieurs gammes d’acteurs. Ceux qui avaient ouvert la voie n’ont eu de cesse de se légitimer aux yeux de l’Institution en effaçant les traces de leur entrée par la petite porte. Pas tous, heureusement. Mais regardez autour de vous le nombre de gens qui vous disent : le FLE ah oui ? Moi, je suis linguiste, moi je suis… (tout sauf « ça »). Quant à ceux qui sont venus après, ils ont retenu, ils retiennent la leçon : le FLE, c’est pas classe ! davantage dans le rang (et pour cause) apparaît la didactique du FLM. Vous remarquerez qu’on dit plus souvent le FLE que la didactique du FLE : c’est que chacun sait confusément que le FLE et sa didactique sont forcément plus qu’eux-mêmes, ils sont un ferment de transformation des manières de voir, d’apprendre, d’observer, d’enseigner, de se comporter, en coordonnant (les savoirs, les disciplines, les êtres…) au lieu de diviser, de hiérarchiser. Et ça vraiment, c’est in-su-ppor-table.

L’avenir du FLE n’est pourtant pas, pour utiliser une paraphrase célèbre, « l’avenir d’une illusion ». Cela dépend de nous.


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Parmi les projets urgents : un groupe de travail sur le FLS, un autre sur le FOS et le FLP.