La lettre de l'ASDIFLE
 
Numéro 10 - Janvier 2011

asdifleProposer un stage en immersion, en France, à des professeurs de français langue étrangère

C’est faire le pari que ce stage améliorera leurs capacités linguistiques, en particulier en matière de fluidité verbale, et sera l’occasion de découvertes culturelles locales que l’apprenant fait siennes, petite histoire de vie à rapprocher de ce « petit Liré » cher à du Bellay, que l’on soupçonne chaque Français d’entretenir dans son imaginaire affectif.

Mais en passant du général (la France, le français) au particulier (une ville, une population, un espace circonscrit) les images se fragmentent et amènent à réfléchir à une complexité qui devrait enrichir celui qui accepte de s’y plonger.

C’est ce pari que doit tenir le responsable d’un projet de stage en immersion :

La France ? Non, mais le rendez-vous dans un espace de France.

Le français ? Non, mais des langues de France, romanes et autres, dont le français.

Une culture française ? Non, mais une approche pluriculturelle et la co-construction d’une culture commune amenant à renoncer à certaines valeurs acceptées comme des évidences au profit du consensus.

Une didactique du français? Sans doute, mais éclairée par une réflexion sur les compétences mobilisées dans l’essai de compréhension d’autres langues pratiquées sur le territoire, qu’elles soient totalement inconnues ou voisines.

C’est dans cette perspective que se déroulera, au début de l’été, à Bayonne, un stage en immersion, conçu par l’Association suédoise des professeurs de français et l’université de Pau et des Pays de l’Adour, en partenariat avec les services culturels de l’ambassade de France à Stockholm, l’ASDIFLE, et la DGLFLF, à destination des professeurs de français nordiques.

Outre des enquêtes de terrain qui comprendront, à côté des enquêtes traditionnelles sur la vie et la culture locales, des rencontres dans les écoles bilingues basques et espagnoles et des échanges concernant les politiques régionales et nationales dans ce domaine sont au programme ; mais de plus, les enseignants en stage auront l’occasion de s’interroger sur les stratégies de compréhension qu’ils peuvent mettre en œuvre face à un texte basque, puis à des textes en langue romane et sur l’intérêt qu’il peut y avoir, dans l’Europe riche de 23 langues reconnues officiellement, à pratiquer et promouvoir l’intercompréhension (et s’agissant de professeurs de français, c’est bien évidemment l’intercompréhension entre langues romanes qui constitue la cible première.)

Enseigner le français aujourd’hui se comprend mal dans une perspective obéissant aux seules frontières de son pays natal, et même à celles d’un « pays d’adoption », et l’on peut tendre, avec Umberto Eco, vers « une Europe de personnes (…) qui peuvent se rencontrer en parlant chacune sa propre langue et en comprenant celle de l’autre, mais qui, ne sachant pourtant pas parler celle-ci de façon courante, en la comprenant même péniblement, comprendraient le génie, l’univers culturel que chacun exprime en parlant de la langue de ses ancêtres et de sa tradition. » (1)

De tels stages, moins monolithiques du point de vue de l’idéologie linguistique, gagneraient à être proposés dans la plupart des régions de France, et notamment dans les plus riches d’un point de vue plurilingue, de même que pourrait être proposée aux enseignants français la découverte des richesses linguistiques et culturelles qui les entourent en Europe, non dans leur morcellement, mais dans leur continuum.

Anne-Marie Pauleau


(1) Umberto Eco La ricerca della lingua perfetta, Ed. Laterza fare l’Europa, 1993.

Programme détaillé