ENTRETIEN DU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, M. PHILIPPE DOUSTE-BLAZY, AVEC
"LE GRAND RENDEZ-VOUS EUROPE 1 - TV 5"

(Paris, 2 octobre 2005)

A propos du développement des capacités d'accueil du réseau des établissements scolaires


Q - La France dans le monde et le regard du monde sur les Français avec vous, Monsieur Douste-Blazy, ministre des Affaires étrangères de la France depuis 4 mois maintenant.

Cette semaine, vous étiez au Maroc, en Égypte, en Tunisie d'où vous venez à peine de rentrer.

A travers vos voyages, c'est peut-être l'apprentissage ou la redécouverte des peuples et des pays tels qu'ils sont aujourd'hui. On y trouve dans le monde, le besoin de paix et de liberté, de stabilité, parfois de réconciliation, souvent de paix. On y trouve des crises, des violences, et le terrorisme, cet ennemi numéro 1 constant. Le dernier exemple, c'est l'Indonésie. Une nouvelle fois, les islamistes radicaux ont frappé.

LE TERRORISME

A travers vous, quelle est la réaction de la France ?

R - Le président de la République a tout de suite écrit à son homologue indonésien ; il n'y a pas de pire lâcheté que ce genre d'actes, 26 morts, plus de 100 blessés. Pour la première fois dans cette région, on trouve des kamikazes. En 2002, l'Indonésie avait déjà été touchée, c'était à l'époque une voiture piégée. Je crois que cela veut dire qu'aucun pays n'est à l'abri de ce genre de choses, qu'il faut se battre.

Vous disiez à l'instant que j'étais en Égypte il y a 3 ou 4 jours ; j'y ai vu le Cheikh Mohamed Sayet Tantawi, cet homme qui prône, comme imam, le fait que la religion musulmane n'est évidemment pas une religion qui peut accepter le moindre terrorisme.

Q - Que dit-il concernant les kamikazes ?

R - C'est l'un des plus grands représentants religieux aujourd'hui qui soit écouté dans le monde et qui clame avec force le dialogue des religions, le dialogue des civilisations et le dialogue des cultures. On ne respecte l'autre que si on le connaît et je crois qu'il est très important de comprendre que deux mondes vont s'affronter aujourd'hui : ceux qui croient qu'il y a un choc des civilisations, ceux-là ne partageront pas son avis ; c'est un danger absolu, cela finit par le terrorisme. On fait croire que l'on peut faire de la politique avec de la religion, aucune religion n'entraîne la mort de qui que se soit. Et puis, il y a ceux qui, comme nous, prônent le dialogue des cultures et le respect de l'autre.

Q - Mettez-vous en garde aujourd'hui les citoyens français qui vivent en Indonésie après les attentats à Bali ?

R – Partout où l'on se trouve dans le monde, il faut faire attention, en Indonésie comme ailleurs. L'Union européenne est en train de prendre des mesures très importantes au moins à trois niveaux. D'abord, elle travaille avec les autres pays, les États-Unis, récemment vous aurez vu un article du "Washington Post" montrant que la France est le deuxième pays, avec les États-Unis, parmi les plus performants dans la lutte contre le terrorisme. Mais nous avons mis en place également des commissions d'enquêtes communes, en particulier transfrontalières, que ce soit avec les Britanniques, les Hollandais ou les Espagnols. Et puis, et peut-être est-ce le plus important, maintenant, nous évaluons ce que font les autres pays européens pour être sûrs qu'il n'y ait pas un trou pour les terroristes à l'intérieur duquel les terroristes seraient tranquilles.

Deuxièmement et c'est peut-être aussi quelque chose d'essentiel, nous pensons que, dans la lutte contre le terrorisme, il nous faut une lutte de tous les jours, dans l'explication du respect des cultures et du respect des civilisations. C'est dès l'école qu'il faut expliquer cela. Nous sommes dans un pays laïc et en même temps, nous devons expliquer qu'il faut s'accepter les uns les autres.

Troisièmement, il nous faut lutter contre le financement du terrorisme.

Q – Mettez-vous également les Français en garde contre des déplacements touristiques qui ne seraient pas contrôlés ? Faut-il faire une sélection des pays que l'on visite ?

R – Non, ce serait très difficile. Ce que je peux vous dire, c'est que le Quai d'Orsay est, jour et nuit, grâce à un système consulaire, l'un des meilleurs du monde, toujours au contact des Français. Dans certaines régions du monde, peut-être les plus dangereuses, nous étudions l'idée que, les Français, en arrivant dans le pays, pourraient prévenir le consulat.

Q – Lors de l'arrestation lundi dernier d'une cellule présumée d'Islamistes à Trappes et à Évreux, on a évoqué des menaces d'attentats contre la France, un attentat contre l'aéroport d'Orly, le métro parisien ou le siège de la DST. Confirmez-vous ces menaces qui pèseraient sur la France aujourd'hui ?

R - Aucun pays n'est à l'abri. Malheureusement, ce pays, le nôtre le sait. Souvenez-vous de 1995, nous sommes menacés comme les autres, ni plus ni moins et d'ailleurs, le Premier Ministre a décidé, après les attentats de Londres, d'élever le niveau d'alerte du plan Vigipirate.

TURQUIE

Q - Ce soir, le grand dossier que nous allons traiter ensemble au Grand Rendez-vous d'Europe 1 et TV5, c'est la Turquie. C'est le grand problème qui traverse toute la conscience européenne, en tout cas le débat public français et pour longtemps. Ce soir, les vingt-cinq ministres des Affaires européennes vont se réunir pour dîner ensemble à Luxembourg. Catherine Colonna représente la France, vous les rejoindrez probablement dès la fin de cette émission. Ces négociations avec la Turquie vont-elles vraiment avoir lieu ?

R - Le Conseil européen de décembre 2004 a décidé que l'Union européenne ouvrirait des négociations en vue de l'adhésion ou non de la Turquie à l'Union européenne. C'est déjà réglé, c'est fait, c'est décidé.

Q - C'est-à-dire que l'on ne tient pas compte des votes, des référendums qui ont dit "non", pas forcément directement à la Turquie mais à la Constitution ?

R - Il faut arrêter les malentendus ou les petites phrases qui ne veulent rien dire. Il faut bien comprendre que la Turquie n'entre pas, aujourd'hui, dans l'Union européenne. Depuis 1963, il y a une discussion en France, beaucoup de Premiers ministres, beaucoup de chefs d'État se sont succédés en France depuis lors et personne n'a arrêté cela.

Q - Mais cela n'a pas été automatique ! Vous l'avez décidé l'année dernière, il y a eu différents votes. Ce soir, dites-vous que la France renouvelle son accord et son mandat à la Commission pour qu'elle négocie avec la Turquie ?

R - Tous les pays européens ont décidé en décembre 2004 d'ouvrir des négociations. Faire croire que les négociations aboutiront à une adhésion, c'est mentir. Pourquoi ? Parce que nous avons beaucoup travaillé et de manière très rigoureuse dans le cadre de ces négociations, sur la manière dont elles seront menées, sur la façon de parler avec la Turquie. De plus, le texte qui permet d'ouvrir ces négociations nous va très bien. Ce texte dit très clairement que le résultat des négociations n'est pas écrit à l'avance. Autrement dit, tout est ouvert, on peut dire à la Turquie "non" ou on peut dire, dans 10 ou 15 ans, "oui" ou "non".

Q – Cela veut-il dire qu'à tout moment, il faudra conduire ces discussions à l'unanimité ?

R – Je vais vous expliquer pourquoi ce papier nous va. Pour trois raisons :

La première, parce qu'en effet, c'est une négociation d'État à État. C'est-à-dire que chaque nation pourra dire, pendant toute la durée de la négociation, "nous arrêtons". Le fait qu'un seul État dise "non" arrête tout, puisqu'il faut l'unanimité, vous venez de le dire.

Q – La France pourrait-elle mettre son veto ?

R – Les vingt-cinq pays le peuvent.

Q – La France pourrait-elle l'exercer un jour ?

R - Évidemment ! Pourquoi ? Parce que, et c'est la deuxième raison, il nous semble que l'Union européenne est un symbole très clair de paix et de stabilité. L'Union européenne pour nous, c'est un symbole des Droits de l'Homme, de liberté fondamentale. Or, aujourd'hui, la Turquie est loin d'avoir nos valeurs, de les partager et même d'avoir les mêmes lois dans le domaine des Droits de l'Homme, dans le domaine de la démocratie, dans le domaine des libertés, dans le domaine de l'égalité entre l'homme et la femme.

Q - Si elle est si loin de tout cela, pourquoi commencer à discuter sans attendre qu'elle fasse des progrès ?

R – Parce que, et c'est cela la question et c'est la seule question qui vaille, lorsque l'on a un pays comme celui-là, aussi important, qui se trouve à nos portes et qui veut entrer dans l'Europe, c'est-à-dire partager nos idées de démocratie, nos valeurs des Droits de l'Homme, lorsque l'on voit ce pays vouloir faire des efforts, on lui dit "attention, nous ne vous disons pas "non" mais il faut que vos lois soient parfaitement en adéquation avec nos lois. Il faut que vos valeurs soient en adéquation avec nos valeurs". Que feriez-vous ? Quelle est l'autre solution ? Leur dire "non, merci, dégagez, nous n'avons pas besoin de vous !".

Q – L'autre solution est proposée par des tas de leaders français et européens, un partenariat privilégié de haut niveau comme dit M. Giscard d'Estaing.

R – Mais la négociation qui commence n'enlève absolument pas cette possibilité.

Lorsque M. Giscard d'Estaing dit qu'il faut un partenariat privilégié, particulier et stratégique, c'est bien au bout d'une négociation. Et c'est probablement ce qui va se passer : nous allons commencer de négocier avec la Turquie. A la sortie, il y a deux solutions : ou bien la Turquie adopte les lois nécessaires pour s'arrimer à l'Union européenne ou bien elle ne le fait pas. Alors l'Union européenne décide quelle n'est pas en capacité de les absorber. Auquel cas, la Turquie ne rentrera pas. Là, c'est vrai, il faudra trouver un système pour avoir le lien, le texte le dit, le lien le plus fort possible. Ce serait donc un partenariat privilégié.

Q - Vous disiez tout à l'heure, qu'à tout moment, chacun des 25 États peut donner son veto, la France aussi, dans le courant de la négociation. Mais, ce soir vous dites que la France n'émet ou n'oppose pas son veto à la négociation qui s'engage demain et qu'elle ne laissera pas, comme le demandent de très nombreux leaders, y compris dans votre camp ou pas très loin, elle ne laissera pas la chaise vide à Luxembourg et dans les négociations avec la Turquie.

R - C'est ce que nous avons décidé en décembre 2004, à vingt-cinq.

Q – Mais, c'est facile de dire non !

R – Ce n'est pas d'actualité, je vous prie de m'en excuser. Ce qui l'est par contre, c'est qu'à partir de demain, en effet, à tout moment, la France, comme les 24 autres pays, pourra arrêter une négociation. C'est certain. Il y a donc deux solutions : ou la Turquie est capable de mettre ses lois et ses valeurs en adéquation avec les nôtres et tout va bien ou elle ne fait pas. Prenez l'exemple de la réforme politique et des Droits de l'Homme. Imaginons qu'à un moment donné, sur les libertés fondamentales ou sur les Droits de l'Homme, la Turquie ne respecte pas, on peut tout de suite dire "non".

Sur Chypre, la France a joué un rôle très important, Dominique de Villepin en particulier et moi-même, en demandant à l'Union européenne de répondre à la déclaration unilatérale de la Turquie sur Chypre car la Turquie s'était permis de dire qu'elle ne reconnaîtrait pas formellement Chypre. L'Union européenne demande à la Turquie de mettre pleinement en œuvre le protocole de l'Union douanière vis-à-vis des vingt-cinq États membres, donc vis-à-vis de Chypre.

Q – Jusque-là, cela a-t-il été fait ?

R – Non et c'est bien pour cela. Et à la demande de la France, l'Union européenne demande à la Turquie de reconnaître Chypre. La normalisation des relations entre la Turquie et Chypre est très intéressante pour nous, nous demandons que cette normalisation existe le plus vite possible. Il est inconcevable pour nous que la Turquie puisse adhérer à l'Union européenne si elle ne reconnaît pas Chypre. C'est la raison pour laquelle le Conseil européen va, durant l'année 2006, mesurer les efforts et les avancées sur ce sujet.

Q – Mais le rendez-vous, vous le donnez dans 10 ans ?

R - Pas du tout. Dans l'année 2006, nous avons dit, nous avons demandé au Conseil européen de mesurer si la Turquie avance, c'est important. Autrement dit, faire croire qu'en commençant les négociations avec la Turquie, ce pays entrerait dans l'Union européenne serait mentir. De plus, dire que nous préférons que la Turquie puisse commencer les négociations et changer ses lois pour s'arrimer à la démocratie et aux droits de l'homme plutôt que de partir vers l'intégrisme et le fondamentalisme de l'autre côté, cela me paraît vraiment très important.

Q - A terme, vous-même et la France, voulez-vous que la Turquie fasse partie de l'Union européenne ?

R – Oui. Mais sur le fond, si vous me demandez si je préfère la Turquie, qui a pour voisins quelques centaines de millions de musulmans, et connaissant le monde dans lequel nous vivons - Bali, le terrorisme -, si vous demandez s'il vaut mieux une Turquie arrimée à l'Union européenne avec des Droits de l'Homme respectés comme dans l'Union européenne, avec une démocratie comme dans l'Union européenne, avec les mêmes lois, préférez-vous cela ou préférez-vous une Turquie isolée, allant vers le fondamentalisme, vers l'intégrisme qui serait, en plus, voisine de l'Union européenne ? Je vous réponds que j'espère qu'il n'y a aucun Français qui pense qu'il vaut mieux que la Turquie regarde les intégristes, les fondamentalistes. Je l'espère de tout mon cœur.

Q - Donc, même si c'est dans 10 ans, vous souhaitez le succès de la négociation qui commence demain et c'est une négociation qui est très importante parce qu'elle va aussi porter sur l'identité et l'avenir même de l'Europe, l'identité de l'Europe, ses frontières, son âme…

R – L'âme et l'identité de l'Europe, c'est la paix et la stabilité d'abord.

Ouvrons les journaux aujourd'hui, il n'y a pas un seul jour, une seule semaine où il n'y a pas un risque de fondamentalisme et d'intégrisme, on voit bien ce choc des civilisations. J'ai voulu commencer l'émission en vous disant cela, cela me paraît fondamental ; or, c'est cela qui se joue aujourd'hui.

Le président de la République a une vision géopolitique et géostratégique sur ce sujet, l'Union européenne représente la paix et la stabilité et ne pas le comprendre, c'est dangereux pour nos enfants. Pour nos enfants ou pour nos petits-enfants, va-t-on laisser l'Union européenne en paix et en stabilité ou laissera-t-on de côté un pays qui ira vers les intégrismes et les fondamentalismes ?

Q – Vous parlez du président de la République. Concernant la question de la Turquie, la France n'est-elle pas en train de changer d'avis sur cette adhésion de la Turquie ?

R - La France respecte totalement ses engagements. Depuis 1963, on voit bien qu'il y a un pays qui frappe à la porte. Depuis lors, tous les présidents de la République, tous les Premiers ministres n'ont jamais remis cela en cause. Aujourd'hui les négociations commencent. A titre personnel, je pense que ce sera très dur pour la Turquie parce qu'on lui demande beaucoup. On lui demande de changer ses lois.

Q – Si vous étiez un Turc modéré, laïc, démocrate, ne souffririez-vous pas d'avoir cette sorte de pression ou d'obstruction de la part de l'Union européenne ? Ne seriez-vous pas vexé, humilié au bout du compte si vous étiez un démocrate ?

R – Bien sûr, il ne faut pas se tromper, c'est tout le grand débat qu'il y a en Turquie. Aujourd'hui, les nationalistes turcs disent : "qu'est-ce que c'est que cette Union européenne qui nous obligerait et qui nous fait la leçon ?" C'est exactement le sujet. En effet, je pense que les démocrates doivent se retrouver.

Q – Recep Erdoğan, le Premier ministre turc a dit tout à l'heure que l'Union européenne devra choisir entre être un acteur mondial avec la Turquie ou un club chrétien. Apparemment, vous souscrivez à ce qu'il vient de dire ?

R – C'est une affaire trop dangereuse. Je crois que penser un seul instant qu'un musulman et qu'un chrétien ne puissent pas se parler, c'est comme si on me disait qu'un Israélien et un Palestinien ne pourront jamais se parler.

C'est comme à l'époque en Irlande, un catholique et un protestant. Je trouve cela monstrueux de penser que, pour une religion, on va immédiatement faire un procès à quelqu'un ou à un peuple. On oublie une chose : à tout moment on peut dire "non", on peut aussi laisser continuer les négociations. Imaginons que les négociations aboutissent à quelque chose de positif, que la Turquie respecte totalement tout ce qu'on lui demande. Il ne faut pas oublier que c'est le peuple français, parce que le président Chirac l'a décidé, c'est le peuple français qui décidera, par référendum, à la fin, si "oui" ou "non" la Turquie entrera dans l'Union européenne. Dire que les choses sont faites, ceci me paraît être d'abord dangereux et mensonger.

Q – Mais, Monsieur le Ministre, pourquoi avez-vous tant de mal à convaincre, jusqu'à votre propre camp ? Même le Parti socialiste et François Hollande. Pourquoi est-ce si difficile ? Pourquoi ne comprennent-ils pas qu'il vaut mieux avoir la Turquie dans une Union européenne élargie qui nous rend plus forte plutôt que la laisser voguer au gré des fondamentalismes, vers un islamisme radical et menaçant pour le reste du monde ?

R – C'est toute la force et toute la beauté de l'engagement politique. J'ai une conviction, je viens de vous la donner, je veux convaincre et c'est vrai, je comprends très bien que dans l'opinion publique, il puisse y avoir des doutes.

Q – Et il y en a.

R – Oui, puisqu'on n'explique pas. Il ne faut pas uniquement laisser parler ceux qui pourraient vouloir faire peur avec l'entrée de la Turquie. Il faut au contraire rassurer.

Q – Là, vous y allez carrément, avec douceur, pour tenter de vous faire accepter dans l'opinion française. Vous contribuez donc à l'explication et à la pédagogie. La Turquie va peser lourdement dans tous les débats publics, tous les rendez-vous électoraux que la France va avoir d'ici à 2007, vous le savez cela ?

R – Que des personnes en France puissent dire qu'elles aimeraient que la Turquie rentre ou que d'autres pensent qu'elles n'aimeraient pas que la Turquie rentre, c'est une chose. Mais dire aujourd'hui, au moment où les négociations commencent, qu'il faudrait revenir sur les décisions que la France a prises, remettre en cause tout cela et dire "non" aux Turcs, lui dire "au revoir, merci, vous n'avez rien à voir avec nous", pour la démocratie et les Droits de l'Homme, ce serait à mon avis, un raisonnement très court. Peut-être à court terme, nous ferions plaisir à l'opinion publique, mais à moyen ou à long terme, on ne servirait pas l'État français ni la cause de l'Union européenne et donc pas la paix pour nos petits-enfants.

Q – Et donc, vous passez en force au final. 70 % des Français sont opposés à l'entrée de la Turquie.

R – Non seulement on ne passe pas en force, mais ce serait faire le contraire qui serait de passer en force.

En décembre 2004, tous les pays européens ont décidé qu'il y aurait un début de négociation. Par contre, si à un moment donné, parce que les libertés religieuses, parce que l'égalité entre l'homme et la femme, parce que les Droits de l'Homme et les libertés fondamentales quelles qu'elles soient ne sont pas respectés en Turquie, à ce moment-là, qu'il y ait un débat, alors oui, j'aimerais que, sur le fond, il y ait un débat. Qu'une des personnes dont vous avez parlé dise cela, cela a du sens.

Mais au départ, faire croire que parce que quelqu'un - personne n'ose le dire - a une religion qui n'est pas la bonne, c'est terrible, c'est mauvais. C'est-à-dire que l'on ne peut pas faire ce procès-là.

Je termine en disant que, pour moi qui suis un Européen convaincu, je pense que c'est un débat qui est très important, mais qui est un débat qui permet de définir une Europe très élargie et je reste persuadé qu'au sein de cette Europe, il faudra, tôt ou tard, avoir une politique intégrée plus forte à quelqu'un, ce que d'autres ont appelé l'avant-garde, le noyau dur.

Q – Nous allons en parler.

Une dernière question sur la Turquie, pardon si nous sommes un peu longs mais c'est un sujet capital, important.

R – Je suis passionné par ce sujet, vous vous en doutez.

Q – Et nous aussi car c'est un sujet de fond pour tous les Français.

Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, en 2007, le prochain président de la République, si ce n'est pas M. Chirac, peut remettre en question la politique que vous venez de définir avec beaucoup de conviction et vraiment. Autrement dit, ce peut être une politique valable pour 2 ans.

R – Rien ne va changer, rien ne changera. Il y aura une Commission européenne, un Conseil européen auquel participera cet homme ou cette femme. L'Union européenne va, dans cette négociation, décider elle-même du jour de l'ouverture et du jour de la clôture des négociations dans chaque domaine. Elle reviendra au Conseil européen, c'est le commissaire chargé de l'élargissement qui sera responsable de cela, il reviendra devant tous les présidents de la République et tous les chefs de gouvernements pour dire que, sur les Droits de l'Homme, nous avions demandé aux Turcs de le faire, elle ne l'a pas fait. Et le futur président de la République, si ce n'est pas Jacques Chirac comme vous le dites, sera obligé de dire que, puisque la Turquie ne respecte pas les Droits de l'Homme, nous arrêtons.

Q - Quand même, à attendre la position des Turcs sur les Droits de l'Homme et d'autres sujets, il peut dire que ce n'est pas sa politique et – veto -, la France se retire ?

R – Non.

Q – On voit donc l'enjeu, 2 ans comme 10 ans.

R – Ce que vous oubliez, c'est comme pour vous dans votre vie professionnelle, dès l'instant où vous prenez une responsabilité, cela vous dépasse. C'est la France qui compte, ce n'est pas une personne, ni ma personne qui compte, c'est la politique étrangère de la France et lorsque l'on parle de la France, on ne parle pas d'une personne. Vis-à-vis des autres, des 24 autres pays, on ne peut pas se comporter ainsi en disant "ce matin, je pense que non". Ce n'est pas ça.

Q – Avis aux amateurs et avis aux candidats.

R –Je n'en suis pas, ça tombe bien.

Q – Si ce n'est pas le troisième mandat de Jacques Chirac.

R – Il y aura une règle du jeu de décider si cet homme ou cette femme devra respecter cette règle du jeu car c'est aussi ça la politique.

(...)

L'Union européenne

Q - Concernant l'Union européenne, vous avez proposé ce que vous appelez une avant-garde, une "Maison dans la Maison" comme d'autres l'ont appelé. N'est-ce pas un danger une Europe à deux ou plusieurs vitesses ?

R – Je sais que l'on dit toujours cela. La question, c'est de voir aujourd'hui ce qui se passe dans le monde. Il existe aujourd'hui dans le monde une nouveauté. Il y a des régions, des pays-continents comme l'Inde, comme le Brésil, la Chine,

Q – Des puissances émergeantes quoi ?

R – Des puissances émergeantes mais qui sont d'une telle taille, là aussi on ne l'a pas dit concernant la Turquie, mais il faut bien comprendre aussi qu'il faut que l'Union européenne ait une certaine taille.

Donc, ces pays sont en train d'avoir une telle croissance qu'aujourd'hui, on le voit, en termes de licenciements dans le textile, en Tunisie même dans les pays du Sud, il y a une ascension extraordinaire de ces pays. A partir de là, il faut quand même savoir ce qu'il va nous rester. Il faut réfléchir. On ne peut pas continuer à construire des voitures si on voit bien qu'en face, on construit des voitures moins chères et aussi performantes. Il faut donc réagir.

Je prends un exemple : les nanotechnologies et les biotechnologies. Les États-Unis d'Amérique ont décidé d'investir 100 milliards de dollars par an dans les nanotechnologies et les biotechnologies. Les Indiens, les Chinois investissent aussi des sommes considérables dans ces deux secteurs qui sont les secteurs du XXIème siècle. L'Union européenne, à vingt-cinq, bientôt vingt-sept, plus bientôt, on ne sait pas, nous n'avons pas intégré l'idée même d'avoir une politique de recherche commune. Je vous dis que si on ne le fait pas, ce n'est pas le textile que nous n'aurons plus, c'est la valeur ajoutée, ce que vaut par exemple l'Airbus A 380.

(...)

Q – Et lorsque vous en parlez aux Européens, sont-ils d'accord ?

R – Il faut maintenant parvenir à des coopérations renforcées très concrètes. Je vais même vous dire, je crois qu'il faut réagir à cette panne institutionnelle.

Q – Et nous n'avons pas besoin de la fameuse Constitution pour faire cela ?

R – Il faut réagir à la panne institutionnelle de l'Europe par plus d'Europe économique. Regardez, un certain nombre de pays mettent en oeuvre des réformes fiscales aujourd'hui, la France, l'Allemagne aussi. J'aimerais que demain, il y ait un gouvernement économique avec des pays qui partagent la même vision économique, les mêmes visions budgétaires, les mêmes visions fiscales.

Q – Et ça, à 25, ce n'est pas possible ?

R – Je ne vois pas comment, à 25, on pourra, d'un coup de baguette magique, faire ce genre de choses.

Q – Donc, l'avenir de l'Union européenne, c'est de revenir au fondement initial, c'est-à-dire être six au moins pour faire avancer l'Union.

R – L'avenir de l'Union européenne, c'est d'abord un projet, et un projet partagé. Le projet dont nous parlions tout à l'heure à propos de la Turquie, c'est un sujet majeur, c'est un projet de paix et de stabilité. Rien n'est gagné et ce n'est pas parce que nous sommes en paix avec l'Allemagne depuis 50 ans, ce qui n'est jamais arrivé depuis très longtemps, que tout est gagné. Paix et stabilité pour nos enfants et nos petits-enfants. Et puis, il y a la question, les Européens veulent-ils encore jouer un rôle dans l'histoire ? Veulent-ils jouer en pouvant se comparer aux États-Unis, aux Indiens, aux Chinois ? Je réponds "oui, j'y crois, je crois à l'Europe des pères fondateurs". L'Europe des pères fondateurs, c'est une intégration aujourd'hui. Quand on parle de pôles de compétitivité, il faut oser.

Je lance une idée : pourquoi ne ferions-nous pas des pôles de compétitivité européens, je vois à Toulouse, le pôle de compétitivité sur le cancer, les nano et les biotechnologies, faisons-le avec Barcelone !

Q – Comme l'A 380 ?

R – Oui, bien sûr et pourquoi sommes-nous les meilleurs du monde - nous vendons sept Airbus pour trois Boeing aujourd'hui - parce que nous nous sommes mis ensemble ! Pourquoi ne le ferions-nous pas demain, sur d'autres sujets ? Cela s'appelle l'intégration. Pour l'A380, il n'y a pas de Lituaniens, ni de Polonais. Ce n'est pas être méchants, ce n'est pas deux vitesses, cela veut dire de commencer d'abord entre nous avec ceux qui le souhaitent.

Q – Les Six comme locomotive, est-ce cela ?

R – Les 5 ou les 6, les 7, je ne le sais pas mais ce que je sais, c'est qu'à un moment donné, il ne faudra pas avoir peur de dire même des choses qui fâchent. Ceux qui veulent venir viennent, ceux qui peuvent venir viennent et les autres suivent ensuite.

Q – Vous voyez, vous le dites sans peur.

Sur le budget européen, y a-t-il une chance que l'on aboutisse avant la fin de la présidence britannique fin décembre ?

R – Je pense que c'est nécessaire et pour une raison très simple : si on ne voit pas comment le faire, sous présidence britannique, on ne trouvera pas l'argent pour financer l'élargissement aux 10 nouveaux pays et en particuliers aux pays de l'Est qui viennent d'arriver, qui ont -pardonnez-moi l'expression – "ramé" sous des dictatures, qui enfin, après réformes et réformes, et souvent perte des élections, par courage politique, ont décidé d'arriver enfin à la table et au moment où ils sont à la table, trois ou quatre grands pays…

Q – Oui, mais avec le même budget ou avec un supplément de budget, la France est-elle prête à mettre quelque argent supplémentaire ?

R – Ce n'est pas la question qui est posée. Nous avons les 12 milliards de plus, mais ce que nous voulons c'est que tous les pays paient. Il n'y a aucune raison qu'un pays ne paie pas. Il se trouve qu'aujourd'hui, le Royaume-Uni ne paie pas le prix de l'élargissement aux pays de l'Est. Nous nous sommes simplement permis de dire que ce n'était pas normal.

Q – Mais en contrepartie, on peut dire, par exemple à propos de la Politique agricole commune qu'elle est sanctuarisée jusqu'en 2013 mais on peut commencer dès maintenant à réfléchir pour la faire évoluer, ainsi ce serait un peu donnant-donnant et les Anglais seront à ce moment-là de "casquer".

R – Vous seriez un excellent négociateur, c'est ce que nous avons proposé. Nous avons dit que jusqu'en 2013, la PAC reste la même ; ensuite nous pourrons la faire évoluer mais pas avant.

Le Quai d'Orsay

Q - Vous êtes ministre des Affaires étrangères depuis maintenant quatre mois. Vous vous sentez à l'aise au Quai d'Orsay ?

R - Je fais mon travail.

Q - Vous vous sentez ministre des Affaires étrangères : un diplomate ou un politique ?

R - Je pense que la définition même de la diplomatie, c'est de faire vivre les gens ensemble, d'éviter les crises. Et cela, ce n'est que de la politique.

Q - Que pensez-vous des attaques qui partent quelquefois de votre camp, qui s'atténuent un peu mais qui disent : il est étranger aux Affaires étrangères ?

R - J'ai toujours été assez humble. Je pense que j'ai beaucoup de choses à apprendre. C'était la même chose quand j'étais ministre de la Santé. Je sais que j'ai une administration de très haut niveau. C'est l'occasion pour moi de saluer ces femmes et ces hommes qui travaillent dans le monde entier. C'est un des trois plus grands réseaux au monde. J'ai rencontré une volonté de servir l'État qui est à toute épreuve. Ce sont des femmes et des hommes qui servent l'État, qui savent ce qu'est le service public. Je suis ravi d'avoir l'occasion de travailler avec eux.

Q - Que découvrez-vous sur l'état du monde et du rang futur de la France ?

R - Il y a une chose dont je suis sûr et que je vais proposer prochainement. Lorsque je suis en Égypte, que je vois, grâce au président de la République Jacques Chirac, son homologue le président Moubarak, et qu'il me dit : "la plupart de mes ministres parlent français". Lorsque je vais au Maroc, lorsque je vais en Tunisie et qu'on me dit : "la plupart parlent français" ; lorsque l'on me parle aujourd'hui des langues en Algérie, lorsqu'on me parle de l'Amérique latine, attention, avec la mondialisation actuelle, la plus grande chose que nous devons faire aujourd'hui est de créer des places dans les écoles primaires et secondaires, dans les lycées et collèges français. Pas uniquement pour les familles des ambassadeurs et des consuls, pas uniquement pour le personnel diplomatique mais pour les enfants des personnes qui ont envie de donner à leurs enfants une culture française. Car demain, en raison de la mondialisation et des échanges qui se font, les patrons de banque, les patrons de l'administration, les futures élites auront cette culture française et auront avec nous des liens. Cela est probablement une grande action qui n'a pas été menée depuis trop longtemps.

L'ALGÉRIE

Q - Alors l'Algérie : le Quai d'Orsay a salué le référendum gagné par le président Bouteflika. Vous avez dit au Quai d'Orsay que c'était une consultation démocratique. Le confirmez-vous ?

R - C'est bien sûr une consultation démocratique avec un très bon score de participation.

Q - Pas excessif dans la participation et dans le résultat.

R - Il se passe quelque chose de très lourd. Le président Bouteflika pose une question simple : "Voulez-vous ou pas une réconciliation nationale ?" Cette charte pour la réconciliation et la paix, c'est majeur. Souvenez-vous des années noires, 1992...

Q – 150 000 morts…

R – 150 000 morts, souvenez-vous de cela. Le président Bouteflika, dès 1999, a tenté la concorde civile. Il est trop tôt pour faire le bilan. Ce que je sais est qu'il est très rassurant de voir, nous l'avons vraiment félicité de cela, que l'Algérie puisse accepter la réconciliation nationale.

Q - Abdelaziz Bouteflika réclame un signe de repentance pour les crimes, dit-il, commis par la France pendant la période coloniale. La France est-elle prête aujourd'hui à faire ce geste ?

R - Il y a deux sujets : d'abord il y a les propos que M. Bouteflika a tenus dans son pays...

Q - Il a parlé de génocide...

R - Oui, les propos qu'il a tenus...

Q - En campagne électorale...

R - Nous avons une vision de ce passé commun et cela ne nous empêche pas de croire très fortement qu'il faut, plus que jamais, un traité d'amitié entre nos deux pays. Et j'espère que ce traité d'amitié pourra être signé entre nos deux présidents, le président Bouteflika et le président Chirac, avant la fin de l'année. C'est important pour nos relations bilatérales.

Q - Vous l'espérez. C'est prévu avant la fin de l'année ?

R - Oui, je l'espère fortement et je pense que ce sera le cas.

Q - La France est-elle prête à demander pardon, à se repentir ? Est-elle prête à faire un geste, comme cela a été fait par l'ambassadeur de France à Sétif, ou comme le président Chirac l'a dit à Madagascar, pour faire avancer et aller jusqu'au traité d'amitié ?

R - Nous discutons actuellement de ce traité d'amitié. Dans le cadre de ce traité d'amitié, nous aurons d'abord des relations politiques, scientifiques, techniques, culturelles et universitaires et puis aussi nous jetterons des bases d'orientation politique qui permettent de dépasser ces malentendus actuels pour arriver à trouver les mots qui permettent d'assurer, de part et d'autre, un passé commun. Tout cela est dû à la loi.

Que ce soit bien clair, il faut dissiper tous les malentendus, cette loi prévoit avant tout des mesures sociales et fiscales pour les Français rapatriés d'Algérie et pour les harkis. Il se trouve aussi que cette loi permet de mettre en avant les historiens, les universitaires, les scientifiques pour trouver, de la manière la plus objective possible, entre les historiens algériens et les historiens français, les mots pour parler de notre passé.

Q - Il faut rappeler que cette loi est du 23 février 2005 et qu'il était question des aspects positifs de la colonisation qui a déclenché un tollé, renforcé par la campagne électorale. Vous l'avez dit, les historiens algériens et français commencent à travailler et nous verrons ce qu'ils donneront. Ne faut-il pas, comme je vous l'ai entendu chuchoter, une politique de la France pour tout le Maghreb ?

R - Pour terminer sur cette loi, la France n'a jamais accepté d'écrire une histoire officielle. La France n'a pas d'histoire officielle.

Q - Mais vous comprenez que cela ait pu être perçu comme une provocation du côté algérien ?

R - Je comprends. Nous avons une vision qui est la nôtre. J'ai entendu le président Bouteflika. Nous voulons un traité avec l'Algérie, traité d'amitié. Ce sera un moment fort, ce sera un partenariat d'exception, ce sera un moment historique et donc nous souhaitons apaiser, évidemment, ces relations. Tous les pays n'ont pas la chance d'avoir, sur un autre continent, 110 millions de personnes qui parlent leur langue.

C'est notre cas avec le Maghreb. Je suis donc tout à fait d'accord pour que l'Union européenne soit présente avec le projet MEDA, le processus euro-méditerranéen - j'étais en Tunisie avec mes homologues du pourtour méditerranéen pour parler de ce sujet. Je crois que la France, en raison de son passé, mais aussi en raison de ses relations - Dominique de Villepin était lundi et mardi au Maroc, et je l'accompagnais – doit être là. La Tunisie va privatiser les télécoms. J'aimerais que ce soit l'une des trois grandes entreprises françaises qui sont en concurrence qui l'emporte, et non pas laisser une entreprise britannique, allemande, américaine ou saoudienne l'obtenir. Nous avons un intérêt commun dans tout cela et il faut développer avec le Maghreb des relations particulièrement fortes, culturelles mais aussi économiques.

LA CÔTE D'IVOIRE

Q - On ne va pas faire le catalogue des pays en difficulté avec lesquels nous avons des relations, mais l'Afrique, la Côte d'Ivoire en particulier.

On sait aujourd'hui que les élections prévues en Côte d'Ivoire le 30 octobre n'auront pas lieu. La guerre civile vous semble être une fatalité ?

R - Il faut que l'on aille vite et que l'on prenne cette affaire très au sérieux. La crise qui vise à couper la Côte d'Ivoire en deux est très profonde. Les partenaires de la communauté internationale, la France bien sûr, la CEDEAO, l'Union africaine et les Nations Unies essaient de manière complémentaire de régler la crise. Or aujourd'hui, nous voyons que la médiation de M. Mbeki a réussi beaucoup de choses et en particulier à faire revenir Alassane Ouattara dans le jeu électoral et c'est fondamental.

Q - Mais M. Gbagbo n'en veut pas. Il ne veut pas de tous ceux qui viennent du Burkina Faso, qui pourraient devenir Ivoiriens et peut-être voter contre lui.

R - Je souhaiterais vous répondre et lui répondre en même temps. Il me semble que, de manière unie, l'Union africaine, la CEDEAO et aussi les Nations unies, et tout particulièrement le Conseil de sécurité, doivent expliquer qu'il faut mettre en place les deux engagements de toutes les parties ivoiriennes. Premièrement, des élections transparentes avec une observation internationale et, deuxièmement, un désarmement de toute milice. Si ce n'est pas fait, il faut alors que le Conseil de sécurité des Nations unies s'en occupe.

Q - Il y a, en ce moment, 4 200 soldats français qui sont sur place en Côte d'Ivoire. Sont-ils là indéfiniment ?

R - Non, mais il est aussi nécessaire que ces élections se passent le plus vite possible. Nous avons besoin, au plus tard en début d'année prochaine, d'élections transparentes qui permettent de faire revenir la démocratie en Côte d'Ivoire.

Q - Vous y croyez ?

R - Oui, j'y crois.

Q - Avec M. Gbagbo ?

R – Nous restons dans le cadre du Conseil de sécurité des Nations unies, c'est quand même plus sûr.

Q - Quelle force, ou de représailles ou de conviction, le Conseil de sécurité a-t-il envers M. Gbagbo ?

R - Je reviens de New York, où j'ai passé dix jours au moment de l'ouverture de la 60ème session de l'Assemblée générale des Nations unies. La France croit au multilatéralisme. La France ne croit pas à la décision d'un pays ou d'un autre de décider pour les autres. Je crois aux Nations unies, donc je crois au Conseil de sécurité. Le Conseil de sécurité a déjà fait ses preuves. Lorsqu'il y a sanction, cela apporte toujours beaucoup de questions.

Q - La France s'en remet-elle aux sanctions que le Conseil de sécurité pourrait prendre en Côte d'Ivoire ?

R - La France s'en est toujours remis au multilatéralisme. Nous avons perdu beaucoup de temps peut-être, mais aujourd'hui le moment est venu d'être très strict, très ferme et basé sur le multilatéralisme.

LA PALESTINE

Q - A Gaza, il se passe de graves événements en ce moment. On vient de me dire que les policiers palestiniens sont en train de s'opposer de manière assez brutale et militaire aux milices terroristes du Hamas. Cela veut-il dire qu'il faut soutenir Mahmoud Abbas et l'Autorité palestinienne dans sa volonté de mettre de l'ordre à Gaza avant les élections ?

R - Malgré les élections dans les Territoires palestiniens, malgré les élections qui se profilent en Israël, j'ai rencontré un Premier ministre israélien et un président de l'Autorité palestinienne, Ariel Sharon et Mahmoud Abbas, qui ont confiance l'un en l'autre. C'est historique, cela fait tellement longtemps que l'on attend cela.

La seule solution, maintenant qu'Ariel Sharon a fait un pas très concret - et tout le monde l'a félicité, tout le monde l'a salué -, le retrait de Gaza, l'évacuation des colons – 8 500 colons -, maintenant, pour aller plus loin, pour respecter la Feuille de route - et la France demande que l'on respecte la Feuille de route -, il faut évidemment que la sécurité soit assurée à Gaza.

Q - Vous encouragez donc Mahmoud Abbas dans ce qu'il est en train de faire pour aider à la reprise des discussions avec Ariel Sharon ?

R - Il a raison. Je salue son courage et sa détermination. Nous sommes derrière lui. L'Union européenne doit tout faire pour professionnaliser la police palestinienne, pour qu'elle puisse désarmer les mouvements terroristes comme le Hamas.

INGRID BETANCOURT

Q - Un mot sur Ingrid Betancourt. On a appris que la France avait envoyé des émissaires pour négocier auprès des FARC, ce qui a beaucoup déplu aux autorités colombiennes. Qui sont ces émissaires ? Où sont-ils aujourd'hui, sont-ils toujours en Colombie ?

R - Le sort d'Ingrid Betancourt est une préoccupation de tous les jours pour moi et pour tout le Quai d'Orsay. J'ai lu ce que les autorités colombiennes ont écrit. J'en ai pris bonne note. Dans ce type d'affaire d'otages, la seule solution, et l'actualité récente nous l'a prouvé, c'est la discrétion.

Q - Est-elle toujours en vie ?

R - Je pense. Pour la récupérer le plus vite possible, taisons-nous afin d'éviter des tensions.

POLITIQUE INTÉRIEURE

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