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L'apprentissage du français à l'étranger progresse, mais de façon faible et contrastée.

La bannière de la langue

par Dario PAGEL
lundi 19 juin 2006

Dario Pagel est président de la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF) et membre du Haut Conseil de la francophonie (HCF).


Oui, le militantisme sauvera le français ! 80 millions de personnes ont le français pour langue maternelle ou seconde dans le monde. Dans les collèges, lycées, instituts et universités des pays non francophones, 82,5 millions de personnes apprennent le français. Parmi ces 82,5 millions, 650 000 étudient le français dans les réseaux d'établissements culturels et scolaires mis sur pied par l'Etat français et les autres dans des structures diverses, essentiellement les systèmes scolaires nationaux. En tout, au cours des dix dernières années, le nombre d'apprenants de français dans le monde a progressé de 16,7 millions. Tels sont aujourd'hui les chiffres officiels.

S'il faut se féliciter de ce que l'apprentissage du français reste malgré tout en progression dans le monde, force est également de constater que cette progression demeure relativement faible quand on la compare à celle de l'anglais et de l'espagnol, pour ne citer que ces deux langues, ou quand on prend en compte l'infini vivier d'apprentissage de la langue française que constitue le reste de la population non francophone de la planète. La situation est également très contrastée : progrès très marqués dans les pays francophones du Sud, recul et risque d'effacement dans certaines régions où le français est enseigné en tant que langue «étrangère», demande très diversifiée également.

Pourquoi l'apprentissage du français ne progresse-t-il pas suffisamment dans les pays non francophones ? Mes expériences de Brésilien, donc d'originaire d'un pays à fort potentiel d'apprentissage de cette langue, de professeur de français et de président d'une fédération mondiale qui compte plus de 70 000 enseignants de français membres m'ont en effet amené, au fil des années, à situer les limites de cette expansion du français à deux niveaux : à un premier niveau, une absence de politique ou de visibilité du français dans les pays non francophones ; et, ensuite, même quand on trouve une volonté d'action, elle ne se donne pas les moyens de toucher une plus grande masse de personnes.

Ces dernières années, l'État français a progressivement transféré une partie importante de ses moyens, dans le domaine de la politique de la langue française dans le monde, à l'Organisation internationale de la francophonie. Or cette organisation ne peut malheureusement intervenir que dans les soixante-trois pays qui en sont membres. Elle ne saurait, par exemple, développer aujourd'hui avec les pays anglophones d'Afrique et la plupart des pays latino-américains, et qui n'en sont pas membres, une politique d'apprentissage-enseignement du français dans leurs écoles.

Mais la France garde l'intégralité de son action de politique linguistique dans les pays non francophones. Cette politique est mise en oeuvre par le ministère des Affaires étrangères, qui dispose d'une sous-direction du français. Et plus directement sur le terrain par les ambassades de France à travers un réseau de services de coopération et d'action culturelle (SCAC). S'il faut reconnaître une part de dynamisme, notamment dans les activités globalement culturelles, à ces SCAC, on peut aussi faire le constat qu'ils disposent de moins en moins de moyens pour le travail de formation des enseignants du scolaire et des actions de politique du français dans les systèmes éducatifs des pays étrangers, en collaboration avec les associations nationales de professeurs de français, indispensables relais d'influence, enthousiastes et bénévoles, sur le terrain.

La visibilité de la langue française dans les pays non francophones passe principalement par la formation et la fidélisation des enseignants, et l'enseignement du français dans les écoles des systèmes éducatifs locaux. Nous nous demandons chaque jour où sont passées les politiques de bourses de formation aux jeunes futurs enseignants des pays non francophones qui ont permis la formation et la fidélisation d'une génération de professeurs que nous représentons encore ? Ces mousquetaires de la langue française, qui ont milité pendant toute leur carrière, partiront bientôt à la retraite sans voir poindre une véritable relève. Or qui mieux que ces derniers peut jouer le rôle de démultiplicateur de francophonie dans le monde ? Un professeur pour 30 élèves qui tient 6 classes par jour pendant 35 années de travail... Faites le calcul.

Aujourd'hui, l'avenir est, comme pour la plupart des langues étrangères, à la massification de l'apprentissage du français. Et la France semble privilégier l'action à travers ses réseaux institutionnels (alliances françaises, instituts et centres culturels, etc.), dont les seuls résultats palpables sont d'avoir renforcé le français dans son confort de langue d'une élite sociale et culturelle relativement aisée.

Plusieurs publications ainsi que différents travaux de congrès et colloques de la Fédération internationale des professeurs de français ont déjà débattu de la question de la présence du français, aujourd'hui précaire, dans les écoles de nombreux pays non francophones. Pourquoi les fruits de ces réflexions continuent-ils de rester lettre morte ? Est-ce par manque de volonté ? Est-ce par manque d'intérêt ? Est-ce par impossibilité ? Est-ce par excès de prudence ?

Tous les acteurs du français langue internationale doivent interagir entre eux, soutenus par la France, le Canada, le Québec, la Belgique et les autres pays et gouvernements francophones, pour développer une politique cohérente et planifiée de la présence de la langue française dans les systèmes éducatifs des pays non francophones. Et, surtout, ils ne doivent pas oublier ce qui apparaît comme une évidence pour les acteurs de terrain que je représente modestement : pour la réussite de tout projet de politique de la langue française, il faudra s'appuyer sur les professeurs étrangers de français, qui ont un regard éclairé sur la réalité de l'enseignement du français dans leurs régions respectives. Structurés en associations et en réseau mondial par la fédération, ils devraient être les premiers interlocuteurs en matière de politique, de promotion et de diffusion du français.