logo libe Les archives de libé publicite publicite

Événement
Alors que le gouvernement veut imposer une «immigration choisie», un rapport fustige les conditions d'accueil des étudiants.
«France ch. étrangers, pas doués s'abstenir»
par Catherine COROLLER

Pour les meilleurs étudiants étrangers, la France c'est pas l'Amérique. Le gouvernement a beau clamer sur tous les tons sa volonté d'attirer vers l'enseignement supérieur français la matière grise du monde entier, la réalité tempère ce bel enthousiasme. Dans un rapport à paraître (1) dont Libération a eu connaissance, le Conseil économique et social (CES) «porte une appréciation nuancée de la réussite de notre politique d'accueil». Ce constat confirme les conclusions de deux précédents rapports, du Sénat et du Commissariat général du Plan, publiés tous deux en septembre 2005. Le Sénat s'inquiétait de ce que «notre pays n'accueille que 9 % des étudiants faisant leurs études supérieures en dehors de leur pays, ce qui le place loin derrière les Etats-Unis (30 %), mais également derrière le Royaume-Uni (14 %), l'Allemagne (12 %) et depuis peu derrière l'Australie (10 %)». Le Commissariat constatait que «la France reste un pays attractif [pour les étudiants étrangers], bien que sa position relative se détériore régulièrement». «En 1980, la France était en seconde position, elle est placée aujourd'hui à la cinquième place», précise Mohamed Harfi, chargé de mission au Commissariat du Plan.

Concurrence féroce. Bref, entre les ambitions de Dominique de Villepin d'attirer les étudiants étrangers «à fort potentiel» et le désir de ces étudiants de venir étudier en France, il y a un hiatus. Si le nombre global des étudiants étrangers en France augmente régulièrement, ce que le gouvernement ne manque pas de faire savoir, celui de ceux qui y décrochent un doctorat diminue. Il est tombé, selon le CES, de 3200 en 1985 à 2400 en 1999, et seulement 2 000 en 2002. A la décharge de la France, la concurrence est féroce entre grandes puissances. «La mobilité internationale des étudiants devient un enjeu majeur de la compétition économique», note le rapport du Conseil économique et social. Pour des pays vieillissants, le sang nouveau que représentent les étudiants étrangers est vital. Ils viennent compenser la baisse de la natalité et les départs massifs en retraite des baby-boomers, comme la désaffection des jeunes des pays riches pour certaines filières, notamment scientifiques, voire même... la fuite des cerveaux européens vers les Etats-Unis. «L'accueil d'étudiants étrangers, principalement au niveau du troisième cycle, et de jeunes chercheurs offre le double avantage pour les pays d'accueil de dynamiser les laboratoires et d'apporter une vision nouvelle et extérieure aux recherches entreprises», ajoutent les rapporteurs du CES.

«Indiens et Chinois». Dans cette compétition mondiale, la France souffre sans doute du handicap de la langue. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie ont du succès d'abord parce qu'on y parle anglais. La Suède qui attire, comme l'ensemble des pays nordiques, beaucoup d'étudiants dans les filières scientifiques et d'ingénieurs, «a mis en place un ambitieux système de cours en anglais», soulignent les auteurs du rapport. Pour autant, ce handicap linguistique peut être compensé par une véritable volonté politique, comme en témoigne l'exemple allemand. Berlin met en oeuvre une politique très volontariste mêlant assouplissement des conditions d'entrée dans le pays, ouverture des organismes de recherche aux étrangers et possibilité pour les étudiants étrangers diplômés de travailler un an dans le pays. Cette politique a permis une augmentation de 14 % des étudiants étrangers en Allemagne de 1994 à 2004. Tandis que la France «peine à devenir une destination attractive pour les pays émergents», l'Allemagne «accueille depuis récemment des étudiants indiens et chinois».

Fuite des cerveaux. La France paraît en fait bien frileuse. Entre 1995 et 1998, les étudiants ont fait, comme tous les étrangers, les frais de la fermeture des frontières, et la réputation d'accueil du pays en a pâti. Aujourd'hui, le gouvernement paraît décidé à prendre le taureau par les cornes. Aux dépens des pays d'origine ? A l'annonce du virage en direction d'une immigration «choisie», les associations d'aide au développement crient au «pillage» des ressources du tiers monde. Le rapport du CES se penche sur cette «fuite des cerveaux», reconnaissant qu'«en termes de compétences, les pertes de capital humain liées à la mobilité peuvent être considérables pour les pays d'origine». Mais cette émigration a comme moteur une situation politique et économique locale souvent désastreuse. Selon le CES, une partie de la réponse tient à une «mobilisation des diasporas en faveur du développement de leur pays d'origine». D'ores et déjà, certains pays africains «adaptent leurs projets de développement aux ressources qu'offrent leurs diasporas», et «certains pays hôtes consultent les organisations des diasporas présentes sur leur territoire au sujet de l'élaboration et de l'application des plans de développement mis en place dans les pays d'origine...»

(1)«Comparaison internationale des politiques d'accueil des étudiants étrangers: quelles finalités? quels moyens?»

[Libération, 16 janvier 2006 / QUOTIDIEN : jeudi 19 janvier 2006 ]