Le gouvernement Blair prend des mesures défavorables au français et à l'allemand

texte intégral : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3214,36-864117@51-859537,0.html


LE MONDE | 06.02.07 | 15h34  •  Mis à jour le 06.02.07 | 15h34

LONDRES CORRESPONDANT

Le mandarin, l'arabe et l'ourdou feront bientôt leur entrée dans le club des langues étrangères enseignées dans le secondaire en Angleterre et au Pays de Galles (l'Ecosse a un système autonome). Cette innovation est l'un des chapitres d'une réforme des programmes scolaires, rendue publique lundi 5 février, et qui devrait entrer en application en septembre 2008. L'élargissement de l'horizon linguistique des enfants d'Outre-Manche, a priori louable, est un mauvais coup supplémentaire porté aux deux grandes langues traditionnellement apprises : le français et l'allemand.

Car, aux termes de cette réforme, les écoles ne seront plus tenues, comme actuellement, de proposer aux enfants de 11 à 14 ans l'enseignement d'une langue parlée dans l'UE. Le ministre de l'éducation, Alan Johnson invoque des motifs économiques et politiques. Le mandarin et l'arabe doivent permettre aux jeunes Britanniques d'être plus attractifs sur le marché mondial du travail. La connaissance de l'ourdou est censée renforcer la cohésion sociale dans les villes abritant une forte minorité d'origine pakistanaise.

La réforme correspond aux recommandations provisoires d'un rapport confié à Lord Dearing, et qui sera publié au printemps. Elle pose des problèmes techniques immédiats liés au faible nombre de professeurs, notamment de mandarin et d'arabe, disponibles dans le système scolaire. Surtout, à moyen terme, elle ne manquera pas d'accélérer le déclin de l'apprentissage des langues européennes, amorcé à la fin des années 90 et aggravé en 2003. Cette année-là, le gouvernement de Tony Blair prit la décision, très controversée, de ne plus rendre obligatoire l'enseignement d'une langue étrangère pour les enfants de 14 à 16 ans, qui préparent le GCSE, l'équivalent du brevet français. Les langues étrangères sont devenues une simple matière à option placée sur le même plan que la musique ou l'informatique.

HANDICAPS

Les résultats de cette réforme, entrée en vigueur en septembre 2004, sont catastrophiques pour le français et l'allemand. Le nombre d'élèves apprenant l'une de ces deux langues a diminué d'un tiers. Ils ne sont plus que 236 000 pour le français, et 90 000 pour l'allemand.

Ces chiffres fondent au fil du cursus : au niveau A - l'équivalent du baccalauréat - on ne trouve plus que 14 600 étudiants en français, et 6 200 en allemand. Facteur aggravant : les langues sont perçues par les élèves comme une matière plus difficile que d'autres. Les chefs d'établissement, obsédés par le classement annuel de leur école, fondé sur les résultats aux examens, ne font rien pour combattre ce préjugé.

Le ministère de l'éducation observe qu'il accorde maintenant la priorité à l'enseignement des langues dès le plus jeune âge et que toutes les écoles primaires seront en mesure de le dispenser en 2010.

Cette stratégie souffre de deux handicaps. D'une part, la formation des enseignants du primaire est bâclée. D'autre part, à quoi bon initier un jeune enfant à une langue, s'il n'est plus obligé, plus tard, de continuer à l'apprendre ?

Du côté français, on déplore le tort que la réforme inflige aux grandes langues européennes. On souligne que celle-ci contredit l'engagement commun pris par l'UE à Lisbonne en 2002 d'encourager l'enseignement d'au moins deux langues étrangères. Mais le gouvernement Blair, à bout de souffle, ne reconnaît pas ses erreurs dans ce domaine. Il évoque à tout bout de champ les défis de la mondialisation, mais flatte de fait l'insularité linguistique nationale.

Jean-Pierre Langellier

Article paru dans l'édition du 07.02.07.