(Paris, 17 décembre 2007)
À l’heure de la mondialisation et du "soft power", le président de la République et le gouvernement envisagent de privatiser le réseau culturel français à l'étranger en le confiant à des opérateurs. Dans le cadre de la revue générale des politiques publiques (RGPP) lancée par François Fillon au conseil des ministres du 20 juin, une réunion doit se tenir prochainement sous l'égide du secrétaire général de l'Élysée Claude Guéant pour examiner le rapport d'une équipe d'audit et passer en revue les options.
Comme pour l'ensemble de la réforme de l'État, l'objectif clairement affiché est de réduire le nombre de fonctionnaires et de directeurs généraux, en particulier ceux qui relèvent aujourd'hui de la direction générale de la coopération internationale et du développement du ministère des affaires étrangères.
Au Quai d'Orsay, les syndicats redoutent un démantèlement pur et simple de cette direction et l'externalisation d'un nombre croissant de missions. Dans l'hypothèse d'un transfert de compétences à un ou deux opérateurs, censés être plus économes de leurs moyens, l'administration centrale ne conserverait au mieux que la fiction du pilotage stratégique.
Dans le collimateur de cette restructuration annoncée, pas moins de 161 services de coopération et d'action culturelle, 145 centres et instituts culturels, 206 alliances françaises et 27 centres de recherche, autrement dit le coeur du réseau d'influence français à l'étranger. Le projet ne doit être finalisé qu'au printemps, mais il soulève d'ores et déjà un certain nombre de questions.
Le ministère des affaires étrangères français consacre 138 millions d'euros par an au réseau de centres et d'instituts culturels à l'étranger, un montant modeste, équivalent au budget versé à l'Opéra de Paris et qui s'appuie sur une démarche systématique de cofinancement. Pour un euro de projets engagé par la France, le ministère des affaires étrangères en collecte trois minimum, voire cinq ou dix, selon les pays et le secteur. Le chiffre d'affaires du réseau avoisine le milliard d'euros et il a été reconfiguré pour tenir compte, à dépense constante, des régions émergentes : 30 % des instituts d'Europe occidentale ont été fermés en cinq ans. Des Alliances ont été ouvertes en Chine, en Russie et au Brésil.
La multiplicité des opérateurs ne ferait qu'accentuer le risque d'incohérence dans l'action extérieure de l'État.
« Rien ne prouve qu'un opérateur remplirait plus efficacement les missions qui lui seront confiées et coûterait moins cher à l'État, affirme un responsable de centre culturel à l'étranger. A fortiori si les moyens financiers et humains qui lui sont alloués sont insuffisants.» Les problèmes rencontrés par CulturesFrance, CampusFrance et l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger montrent, en tout cas, que l'externalisation n'est pas une panacée.
Surtout, la privatisation du réseau culturel français à l'étranger priverait l'État d'un outil d'influence précieux, au moment où des pays comme le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Espagne, les États-Unis, la Chine et le Japon accentuent leur effort budgétaire dans ce domaine. Mus par des objectifs différents de ceux de la puissance publique, des opérateurs privés concentreraient inévitablement leur action sur les opérations rentables, au détriment de pays "stratégiques" pour l'influence française, notamment sur le continent africain.
Sur le terrain, la multiplicité des opérateurs avec leurs logiques propres et leur spécialisation ne ferait qu'accentuer le risque d'incohérence dans l'action extérieure de l'État. « La rationalisation et le redéploiement nécessaire du réseau passe par un projet crédible, assis sur des priorités géographiques et sectorielles, qui valorise notre diplomatie publique » poursuit le même responsable.
Paradoxe, au moment où le gouvernement français s'apprête à rogner une nouvelle fois les compétences et le budget du Quai d'Orsay, Robert Gates, secrétaire américain à la défense, plaidait, le 26 novembre, dans un discours à l'université de l'État du Kansas, pour une augmentation du budget du département d'État américain et des dépenses publiques en matière de diplomatie, d'assistance économique et de communication, bref pour un renforcement de tous les instruments de "soft power" à la disposition des États-Unis.
FRANÇOIS D'ALANÇON